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ravin de Semenofkoié, lui envoyèrent demander, quelques renforts, en échange desquels ils lui promettaient la totale destruction de l’armée russe, renforts que Napoléon n’osa pas leur accorder[1].

Quant à sir Robert Wilson lui-même, sa physionomie se dessine déjà dans cette terrible attaque de Smolensk. Au moment où Poniatowski s’élance pour enlever le faubourg Raczenka et la partie de la ville située à l’est, après que Murat a dispersé la cavalerie russe qui gênait sur ce point la marche de nos soldats, une batterie de soixante canons vient se placer sur le terrain déblayé par le roi de Naples et prendre en enfilade les ponts jetés par les Russes. À l’instant même, sur la rive opposée du Dniéper, une batterie ennemie s’installe en toute hâte, et, prenant la nôtre en écharpe, la force à changer de place. Les ponts se trouvent ainsi préservés et libres. « Cette batterie moscovite, c’est l’agent anglais qui l’a placée. le soir venu, les Russes sont encore en possession de la ville sainte ; mais Barclay de Tolly a résolu de l’évacuer pendant la nuit : il envoie sir Robert Wilson constater l’état des défenses. Au dire des généraux qui les occupent, elles subsistent tout entières. Le prince de Wurtemberg, Doctorov, etc., s’engagent à tenir dix jours encore derrière les murailles démantelées, si l’on veut seulement les pourvoir de munitions. Ils avaient chargé le commissaire anglais de faire valoir aux yeux du général en chef l’état désastreux que produirait sur le pays tout entier l’abandon de la ville sainte. « Bah ! répondit ironiquement Barclay, rien à craindre de ce côté. J’y ai amplement pourvu. La Vierge est sauve[2]. Nous l’avons au camp, et c’est elle qui fait aux yeux du peuple toute l’importance de Smolensk. Nous l’emmènerons dans un char de triomphe à la suite de l’armée, avec un bataillon commandé chaque jour pour lui servir d’escorte[3]. » Mais Barclay de Tolly se trompait, et il en eut la preuve dès le lendemain, lorsque, les Français étant entrés dans Smolensk, il voulut faire jeter quelques obus sur la ville, que des prisonniers lui représentaient comme encombrée d’artillerie et de caissons à poudre. Les canonniers se refusèrent nettement à commettre l’espèce de sacrilège qu’il exigeait d’eux.

Après Smolensk, et dans leurs premières marches vers Viazma,

  1. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, liv. XIIV, Moscou, p. 328. — Il était dix heures du matin, et Napoléon trouvait que « c’était faire agir trop tôt ses réserves. » Avec douze mille hommes de plus, eût-il hésité ?
  2. On appelait ainsi un tableau représentant la Madone et regardé comme une sorte de palladium par la superstition moscovite. C’est cette image que Kutusov fit promener dans son camp le 6 Septembre 1812 la veille de Borodino), et qu’il suivait, entouré de son état-major, avec les dehors hypocrites d’une piété de commande.
  3. Dépêche de sir Robert Wilson au comte Cathcart, datée d’Andrievka et envoyée de Dorogobouge le 22 août 1812.