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permit aux troupes anglaises de franchir le Tage. Cependant l’armée portugaise s’organisant, la légion de Wilson s’y trouva incorporée, et sir Robert, qui semble avoir toujours eu pour le service ordinaire, réglé, hiérarchique, une répugnance d’instinct, s’en revint en Angleterre, où son premier protecteur, George III, le comprit au nombre de ses aides-de-camp. Et cependant ce militaire éminent, cet agent politique si utile, n’avait pas gagné un grade ; il n’était encore (dans l’armée anglaise bien entendu) que lieutenant-colonel. Il n’a obtenu qu’en 1836 le brevet qui lui donnait un régiment à commander[1] : singulière anomalie qui appelle des explications, et ces explications sont en effet promises, mais encore ajournées.

Quoi qu’il en soit, le nouvel aide-de-camp n’était pas homme à s’accommoder d’une charge purement honorifique. Au mois de mai 1810, il offrait ses services à lord Wellesley (le frère de lord Wellington). Au mois d’août, on lui déclarait qu’ils étaient acceptés ; mais seulement vers la fin de novembre 1811 il reçut la nouvelle de sa promotion dans ce qu’il appelle lui-même « un service spécial. » De nouveaux délais arrêtèrent encore l’essor de son impétueuse ambition. Il ne reçut une mission précise et définie que le 26 mars 1812. Elle lui était donnée par lord Castlereagh, qui l’envoyait à Constantinople avec le « rang et la paie » de brigadier-général dans l’armée royale, et une attribution extraordinaire de 1,000 livres sterling (25,000 francs) par an pour frais et débours. On lui annonçait qu’il partirait avec M. Liston, nommé ambassadeur de sa majesté britannique auprès de la Sublime-Porte, sous les ordres duquel on le plaçait, et avec lequel il devait correspondre uniquement. « On a pensé, on espère, ajoutait le ministre, que votre expérience militaire, jointe à la connaissance toute particulière que vous avez des armées russes et de beaucoup d’officiers supérieurs dans ces armées, vous rendront utile à M. Liston, que vous aurez à renseigner sur l’état et les dispositions de ces troupes, ainsi que sur la marche des événemens militaires. » Les termes de ce programme, la sécheresse des formules qui l’accompagnent, sont à nos yeux tout à fait caractéristiques, et confirment ce que nous avons déjà dit sur l’estime dans laquelle sont tenus les exécuteurs dociles de certains mandats, fort utiles cependant et fort périlleux, mais dont l’acceptation implique on ne sait quel sacrifice de la dignité personnelle.

Arrivé à Constantinople à la fin de juin 1812, Robert Wilson y fut retenu tout un mois,-à sa grande irritation ; mais un firman lui était indispensable pour la mission qu’il allait remplir. Enfin le 27 juillet,

  1. Voyez la lettre de félicitations du comte Cathcart, citée tout au long dans l’Appendix du livre qui nous occupe. — Sir Robert Wilson venait d’être nommé colonel du 2e hussards.