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et de pêche. Leur action n’est toutefois salutaire qu’autant qu’elle est en harmonie avec des lois encore imparfaitement connues de la nature. La richesse sociale que constitue le poisson d’eau douce a donc besoin, pour se développer, du concours des sciences naturelles, de la législation et des intérêts particuliers. Il n’est pas probable que ces trois bases s’élargissent suivant des rapports toujours réguliers ; mais il est certain que toute extension de l’une réagit sur les deux autres, et il n’en faut pas davantage pour qu’avec le temps le succès de l’œuvre commune soit assuré.

L’administration d’un grand état s’expose à d’étranges mécomptes lorsqu’elle méconnaît, dans son organisation, les connexions et les disjonctions qui se fondent sur l’essence même des choses qu’elle doit régir. C’est, à en juger par les résultats, ce qui est arrivé quand on a séparé la police de la pêche de celle des eaux. On a de la sorte compliqué ce qui était simple, rendu difficile ce qui était aisé, stérile ce qui était fécond. Le lien est rompu entre la pensée et faction : la première nécessité est de le rétablir, et, si l’on aspire à de grandes choses, de saisir un instrument capable de les opérer. Cet instrument existe, c’est le corps des ingénieurs ; mais il faut le mettre en état d’agir.

L’industrie privée a fait ses preuves dans l’exploitation des étangs ; des voies nouvelles s’ouvrent devant elle aujourd’hui : elle saura les trouver, et n’a besoin que de liberté pour aller au-delà de ce qu’elle peut promettre.

Reste la part de la science : celle-là n’a pas d’autres limites que celles des secrets de la nature. Les voyageurs qui gravissent les montagnes voient, à mesure qu’ils s’élèvent, l’horizon s’étendre autour d’eux : tels seront ceux qui pénétreront les mystères de l’ichthyologie ; mais ils ne doivent pas se contenter du bonheur de voir et de sentir : il s’agit ici d’une science pratique à créer, d’erreurs et d’exagérations à condamner, de vérités à mettre en relief. À toute science qui se crée, il faut un foyer vers lequel convergent les observations éparses, où soient contrôlés et expliqués les faits nouveaux, où s’élaborent les méthodes, et qui enfin réfléchisse au loin les lumières acquises. C’est ainsi que s’est formée la chimie moderne. Le Collège de France avec son laboratoire d’éclosion, sa réunion d’hommes supérieurs, le voisinage du Muséum d’histoire naturelle et ses relations étendues, c’est là un foyer tout préparé pour la pisciculture, comprise dans son acception la plus étendue, et il ne manque qu’une organisation pour diriger de ce côté les bras et les intelligences.


J.-J. BAUDE.