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peu plus compliquées, et les dommages plus grands. Il y existe pour l’empoissonnement une étroite solidarité entre la partie navigable du cours et la partie supérieure qui ne l’est pas. On ne peut pas conserver la richesse d’un tronçon de rivière quand les eaux qui l’alimentent sont livrées à la dévastation. Les poissons voyageurs qui remontent de la mer aux sources pour y frayer sont, tant qu’ils demeurent dans les cantons affermés, sous la protection des agences forestières ; mais cette protection s’arrête à la limite de la navigation, et, dès qu’elle cesse, le premier venu peut interdire le passage aux poissons, ruiner les frayères, et frapper ainsi le bassin tout entier de stérilité. Ceci n’est malheureusement pas une supposition gratuite faite pour éclaircir une proposition ; c’est une réalité qui se reproduit en tête de toutes les eaux navigables. Pour rendre la police de la pêche efficace, il faut y transporter la continuité qui existe dans la condition naturelle des eaux : rien n’est plus aisé si l’on y emploie les ingénieurs des ponts et chaussées qui ont la police universelle des eaux, et rien ne l’est moins avec les officiers forestiers, car ce sera principalement en interdisant les travaux nuisibles pour en faire exécuter de favorables qu’on déterminera un bon aménagement de la pêche dans les eaux supérieures. Ce serait une grande erreur que d’imaginer qu’il s’agit ici d’un médiocre intérêt. À ne considérer que le bassin de la Loire, la Mayenne au-dessus de Laval, la Sarthe au-dessus du Mans, le Loir au-dessus de La Chartre, la Vienne au-dessus de Chatellerault, l’Indre et la Creuse dans tout leur cours, le Cher au-dessus de Saint-Amand, l’Allier au-dessus de Brioude, la Loire au-dessus de Vorey, sont, malgré la puissance de leurs eaux, sans aucune police de la pêche, et l’on peut comprendre quelle réaction exercent sur les parties navigables les déprédations commises en amont. Ce qui est vrai du bassin de la Loire l’est également de tous ceux entre lesquels se partage le territoire français. L’administration des forêts est radicalement impuissante à rétablir l’équilibre et à reconstituer la richesse ichthyologique dans ce vaste ensemble ; celle des ponts et chaussées, au contraire, réunit tous les moyens d’action désirables.

La rareté progressive du poisson dans nos eaux courantes est le résultat d’un vice d’organisation administrative qui paraît suffisamment ressortir de l’exposé des faits ; les besoins croissans de l’alimentation publique prescrivent impérieusement aujourd’hui le repeuplement de ces mêmes eaux. Trois dispositions qui ne peuvent être appliquées sans le concours de la législature sont indispensables pour atteindre le but. La première est la réunion de la police de la pêche à la police des eaux, et sa translation de l’administration des forêts à celle des ponts et chaussées. Un instrument intelligent, énergique, efficace, sera de la sorte créé pour