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La célèbre ordonnance de 1669, consacrant des usages dont l’origine se perd dans la nuit des temps, a conféré la police et l’administration de la pêche en eau douce à l’administration des eaux et forêts, qui n’est plus de nos jours que l’administration des forêts. En confiant à la même surveillance et aux mêmes soins des deux branches de la richesse sociale, nos pères ne faisaient que transporter dans la législation la connexion qui existe dans la nature entre la conservation des bois et l’alimentation des sources[1], et par une déduction beaucoup mieux justifiée ils virent dans la police de la pêche une annexe inséparable de celle des eaux. L’administration des eaux et forêts avait alors une prépondérance qui allait jusqu’à lui donner, sous le nom de tables de marbre, des conseils et des tribunaux spéciaux ; elle seule était armée pour faire respecter certaines parties du domaine public, et d’ailleurs les travaux hydrauliques étaient si peu multipliés qu’ils n’étaient l’objet d’aucune gestion séparée. Les administrations publiques se pourvoyaient d’ingénieurs comme aujourd’hui d’architectes et de médecins. François Ier faisait construire des places fortes par Léonard de Vinci, et Colbert, quand il voulait faire exécuter un travail d’utilité publique, appelait, si ce n’est M. de Vauban lui-même, un de ses secrétaires, ainsi que l’on nommait les ingénieurs placés sous ses ordres. Ce régime d’incertitude se maintint pendant tout le règne de Louis XIV et la première moitié du suivant ; mais l’accroissement des travaux réclamant de nouveaux instrumens, l’administration des ponts et chaussées fut constituée en 1740. On lui déféra la police des eaux ; seulement, par une singularité dont notre histoire administrative offre peu d’exemples, on perdit de vue, en modifiant une disposition importante de l’ordonnance de 1669, le principe d’unité sur lequel on l’avait fondée. Les eaux passaient sous un régime nouveau, et le poisson qu’elles contenaient resta sous l’ancien. La pêche fut-elle laissée par mégarde dans les attributions des forêts, ou bien craignit-on d’affliger les protectrices en crédit de quelques jeunes officiers

  1. Un sol dépouillé ne conserve pas sa fraîcheur comme celui que protège un manteau de verdure. S’il est en pente, les pluies d’orage le ravinent, l’entraînent, finissent par mettre à nu le roc sur lequel il repose, et les eaux, au lieu d’imbiber les végétaux et de s’infiltrer dans le sein de la terre, se précipitent en torrens à la surface, Il en est autrement dans les pays de forêts. L’action des bois s’exerce au moment et à la suite de la chute des pluies ; elle n’est pas moins puissante sur les circonstances météoriques qui en précèdent la formation. L’attraction exercée sur les nuages par les sommets des montagnes et les grandes forêts est partout manifeste, et dans les temps de brouillard, aux heures des rosées, on voit dans les massifs d’arbres chaque feuille distiller la goutte d’eau produite par les vapeurs qui se condensent à sa surface. L’air est ainsi déchargé en détail par les grands végétaux d’une partie des eaux que feraient ruisseler les orages. C’est ainsi que des cours d’eau réguliers vivifient les contrées boisées, et que les montagnes dénudées n’ont que des torrens alternativement débordés ou desséchés. La comparaison entre le bassin de la Garonne et celui de la Durance met en relief cette vérité.