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sur les mêmes bancs et salée avec les mêmes sels : toutes les circonstances naturelles sont identiques. Où se trouve donc la différence ? Dans les bâtimens anglais et hollandais, les matelots qui jettent les lignes de bord ont derrière eux les trancheurs, qui, dès que le poisson est hors de l’eau, lui coupent la tête, lui fendent le ventre et le déploient. Chez nous, cette opération ne se fait que le soir, sur des morues dont la plupart arrivent mortes au port. Ce n’est malheureusement pas la seule circonstance significative à noter dans notre pratique. Nous péchons pendant le jour à la ligne volante, pendant la nuit à la ligne de fond, longue traînée sur laquelle s’embranchent des fils armés d’hameçons, et qui n’est retirée qu’après un jour plein. Les morues prises de cette manière meurent souvent dans l’eau après de longues heures passées à se débattre et à tirer sur la ligne : celles qui se trouvent dans ce cas sont fades au goût, rapidement corrompues, se mettent à part et se vendent à bas prix. Les pêcheurs les connaissent trop bien pour en faire leur nourriture. Loin de là, pour faire le soir une soupe recherchée, ils prennent au moment du retour des morues vivantes, leur ouvrent le ventre et en extraient les entrailles, leur arrachent les yeux, leur coupent la queue, puis ils pratiquent une incision annulaire au-dessous des ouïes, et enlèvent la peau du dos et les nageoires supérieures. Cela s’appelle éberguer le poisson, locution qu’on dit dérivée du nom de la ville norvégienne de Bergen, où cette préparation paraît invariablement appliquée. Les mornes éberguées sont attachées à des lignes et traînées dans l’eau à la remorque du bateau de pêche. De l’aveu de tous, un procédé si simple ajoute singulièrement à la saveur du poisson ; mais telle est l’influence des lieux que les mêmes matelots bretons qui vantent les effets qu’ils en obtiennent à Terre-Neuve cessent d’en user dès qu’ils sont dans la baie de Saint-Brieuc.

L’infériorité reprochée aux produits de notre pêche est plus sensible encore dans le hareng. Hareng de Hollande, voit-on en étiquette dans les boutiques des épiciers de Paris, et il coûte un sou la pièce de plus que son voisin le hareng de France, auquel on n’accorde pas les honneurs d’une annonce. Toute la différence consiste en ce que le premier a le ventre fendu et les intestins arrachés aussitôt qu’il sort du filet, tandis que le second n’est ouvert qu’a la fin de la journée. On ne peut pas dire ici qu’elle tienne à la lenteur de l’agonie à bord des bateaux de pêche français. Le hareng passe pour être de tous les poissons celui dont la mort hors de l’eau est la plus prompte ; il expire à la première impression de l’air : deus as a herring, disent les Anglais d’un homme mort subitement. Seulement le procédé hollandais délivre immédiatement le poisson des deux principaux élémens de corruption de la chair musculaire, le sang et les intestins. Cette séparation, qui ne s’accomplit en aucun cas sans