Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

approvisionnent le marché de Londres avec mesure et sans ces encombremens qui provoquent l’avilissement des prix. L’écrevisse peut alimenter à l’intérieur des terres de semblables réservoirs ; elle transforme en un mets recherché les plus infimes débris de la boucherie et des ménages, et ne coûte qu’un peu d’attention. La Meuse et la Mayenne, deux rivières qui coulent dans des terrains de natures différentes, sont renommées pour l’abondance et la beauté de leurs écrevisses, et il n’est presque pas de canton où ces crustacés n’aient leur ruisseau de prédilection ; beaucoup de cours d’eau en sont au contraire totalement dépourvus. Ces bigarrures ne sont encore expliquées que par le contact des roches auxquelles les crustacés paraissent emprunter des élémens nécessaires à la formation de leurs cuirasses ; mais on apprendra par la stabulation à placer les écrevisses dans les conditions les plus favorables à leur développement, on sera aussi conduit par cette pratique à la propagation des meilleures variétés : celles-ci ne paraissent pas être les nôtres. La Drave, à la hauteur de Klagenfurth, et les eaux qui approvisionnent Berlin en fournissent de fort supérieures, surtout par la taille, et ces différences, qui sont comptées pour rien dans les classifications des naturalistes, comptent pour beaucoup dans celles de l’économie domestique.

Les expériences empiriques qui se feront dans les ménages sur la domesticité du poisson ne seront pas les moins intéressantes. Le peuple se contente dans ses opérations journalières d’une comptabilité instinctive, mais qui le trompe rarement, et c’est lui qui recueillera sur les effets économiques obtenus les données les plus sûres. D’un autre côté, proposé sous une forme accessible aux intelligences les plus vulgaires, le problème de la stabulation du poisson propagera l’esprit d’observation dans des classes de la société où il est jusqu’à présent peu répandu, et les notions les plus instructives viendront peut-être des lieux où on les attend le moins. Les faits pratiques ainsi constatés conduiront, en se combinant avec les expériences raisonnées de l'aquarium et les études du naturaliste, à la connaissance des lois de la production du poisson sur une grande échelle. Nos étangs en sont aujourd’hui le champ, et rien de plus ; le poisson y est abandonné comme le serait un troupeau sur une terre en friche où la croissance spontanée de l’herbe assurerait seule sa pâture. Ces procédés imparfaits doivent faire place à des systèmes de culture réfléchis, et l’auge, le vivier, l’étang, sont les trois degrés sur lesquels s’élaboreront les méthodes fécondes qu’il est temps de substituer à la stérilité de la routine.

Les anciens Romains ont poussé très loin l’art d’élever le poisson-, mais ils n’avaient pas d’autre but que la satisfaction du luxe et de la