de l’embouchure des rivières. Ils entrent enfin, gonflés d’oeufs et de laitances, dans les eaux douces, les remontent, et offrent au pêcheur la plus riche proie jusqu’au moment où, cédant au vœu de la nature, ils fraient, et ne conservent plus qu’une chair flasque et presque maladive. Beaucoup de pêcheurs, voyant les aloses descendre à la dérive comme des corps flottans, s’imaginent qu’elles meurent après avoir frayé : c’est une erreur, mais ils ont raison de retirer alors les filets tendus sur le passage du poisson quand il remontait. Le fretin, les pucelles, comme les appellent les pêcheurs, semblables à des paquets d’arêtes recouverts d’écailles, n’excitent non plus, en allant à la mer, aucune convoitise. L’alose fraie à une distance d’environ 300 kilomètres de la mer. Voilà pourquoi sa valeur ne se maintient que dans de certaines limites et se perd tout à fait quand elle les dépasse, Blois sur la Loire, Valence sur le Rhône, sont les termes au-delà desquels elle se déprécie de plus en plus.
En Russie, notamment sur le Volga, l’alose est tellement abondante, qu’on ne peut tirer parti du produit de la pêche si l’on n’en sale la plus grande partie, et cette préparation est une des plus recherchées d’un pays où l’art des salaisons est poussé très loin. Le poisson frais trouve chez nous dans la densité des populations urbaines réparties le long des fleuves un débouché immédiat assez étendu pour nous dispenser d’emprunter à la Russie ses moyens de conservation artificielle ; mais il ressort des observations de Pallas que l’alose de la Mer-Caspienne est beaucoup meilleure et beaucoup plus forte que la nôtre. Si la supériorité de cette variété n’est pas inhérente à des causes purement locales, il y aurait un avantage marqué à la transporter aux embouchures de nos fleuves.
Rien n’est plus fait pour exciter notre gratitude envers la Providence que les migrations de poissons qui, comme l’alose, grossissent à la mer et n’entrent dans les rivières que pour se mieux mettre à la portée de l’homme. Tels seraient des troupeaux qui, s’enfonçant chaque année dans des pâturages inconnus, nous livreraient gratuitement au retour la chair dont ils s’y seraient chargés. De toutes les espèces vouées à ces heureuses alternatives de séjour dans les eaux salées et dans les eaux douces, la plus précieuse est sans contredit le saumon. Ce roi des fleuves partage presque également son temps entre les unes et les autres, et, réunissant les dons de l’abondance à ceux de la délicatesse, il rapporte en moyenne de ses campagnes en mer environ 3 kilogrammes de la chair la plus succulente. Non content d’emprunter à la mer tout ce qu’il donne à la terre, il ne dispute guère dans l’eau douce la nourriture aux autres poissons ; il y rentre saturé, s’y maintient sans grossir en vertu du privilège qu’ont les poissons de supporter de longues abstinences,