Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

végétales qui pourraient être ajoutées avec profit à celle qui naît sur l’aire immergée. Il n’y a aucune raison de penser que le poisson rejetât un fourrage artificiel et n’en profitât point. Ce rapide aperçu permet d’entrevoir combien il reste à faire dans un système d’exploitation exclusivement approprié aux espèces sédentaires.

Si, parmi nos pêches d’eau douce, il en était une qui méritât le nom de grande[1], ce serait assurément celle des poissons qui remontent périodiquement de la mer dans les rivières. Ces espèces voyageuses sont celles dont la valeur propre est la plus considérable, et le contingent qu’elles introduisent dans l’alimentation publique l’emporte de beaucoup sur celui des poissons sédentaires ; il suffit, pour justifier cette assertion, de nommer l’anguille, l’alose, le saumon. Il existe en outre, pour la pêche de ces poissons, une étroite solidarité entre toutes les parties des voies souvent fort étendues qu’ils suivent, et il suffit parfois d’un abus toléré sur un seul passage d’une rivière pour qu’ils en désertent entièrement le cours. Ces circonstances appellent une attention particulière sur la protection due à la multiplication des espèces voyageuses ; mais pour régler la police des eaux, il faut connaître les mœurs de leurs habitans. La plupart de nos règlemens sur la pêche ne sont inefficaces que parce que les circonstances auxquelles ils s’appliquent sont mal définies. Commençons donc par étudier les migrations de poissons dans leurs représentans les plus nombreux.

L’anguille fraie à la mer, et chaque printemps ses rejetons remontent aux embouchures de nos rivières de l’Océan et de la Méditerranée. Ils se présentent dans la Seine, l’Orne, la Loire, la Charente et la plupart des cours d’eau intermédiaires sous la forme de fils gélatineux, de la dimension d’une épingle noire, armés de deux yeux en saillie ; c’est par millions qu’il faudrait les compter, et l’affluence en est souvent telle que les eaux en sont obscurcies. Pour franchir les obstacles qui s’opposent à leur marche, ils s’entassent les uns sur les autres, ou même, sortant de l’eau, s’appliquent aux surfaces mouillées adjacentes, puis se poussent en rampant comme des vermisseaux. Si la quantité de ces animaux embryonnaires qui pénètrent dans un de nos grands fleuves arrivait tout entière à maturité,

  1. En Hollande, la grande et la petite pêche se distinguent non par la taille, mais par le produit des espèces sur lesquelles elles s’exercent. Le hareng y est du domaine de la grande pêche et la baleine de celui de la petite.