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On a quelquefois rendu la pisciculture ridicule en lui prêtant des promesses que démentaient les effets, et les espérances imaginaires qu’on fondait sur elle sont bien souvent passées jusque dans le langage officiel. « Pour réaliser, disait-on, le vaste projet du repeuplement de toutes les eaux de la France ; une somme relativement peu considérable est demandée. Il est impossible de douter qu’au moyen d’un crédit de 30,000 francs le gouvernement n’obtienne, au point de vue de l’alimentation publique, d’immenses résultats. Le but à atteindre est digne de toute la sollicitude du gouvernement. Le poisson est un aliment sain et substantiel, dont l’accroissement dans une large proportion serait considéré comme un véritable bienfait par nos populations. À ce point de vue, on peut affirmer que le difficile problème des subsistances sera résolu en partie, et que la disette de céréales n’effraiera plus autant les esprits qui se préoccupent de questions économiques[1]. » Le crédit de 30,000 fr. a été accordé, et il a été parfaitement employé par MM. Detzem et Berthot, ingénieurs des ponts et chaussées, à la création de l’établissement de fécondation et d’éclosion d’Huningue. Malheureusement les questions de céréales sont restées ce qu’elles étaient, et le poisson n’a point fait invasion sur les marchés. Se mettre en route n’est pas arriver, et faire éclore des œufs de poissons n’est pas approvisionner un pays de poissons. Il faut quelque chose de plus qu’une dépense intelligente de 30,000 fr. pour changer les bases du régime alimentaire d’une nation de trente-six millions d’âmes.

La pisciculture est l’art de multiplier le poisson, comme l’agriculture est l’art de multiplier les fruits de la terre ; elle doit donc comprendre de même l’ensemencement, l’éclosion et le développement des germes jusqu’à la maturité : la pêche est sa récolte. Voir toute la pisciculture dans le frai et l’éclosion des œufs du poisson serait tenir l’éducation du cheval pour achevée dans la saillie et le part de la jument. Le pêcheur Rémy n’est point tombé dans cette erreur : il prétendait repeupler des cours d’eau épuisés, rien de plus, et il l’a fait. Son imagination n’a point égaré son bon sens. Imitons-le, et prenons les ateliers d’éclosion pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire pour d’excellens instrumens de translation des espèces en des eaux auxquelles elles sont étrangères. L’atelier d’Huningue suffit jusqu’à présent à cette destination ; il distribue avec une générosité intelligente les meilleures espèces pour l’ensemencement, et les procédés de fécondation qu’il emploie ont, entre autres mérites, celui de se prêter à des applications faciles, ce qui assure à l’atelier d’Huningue

  1. Rapport de M. Heurtier, conseiller d’état, directeur général de l’agriculture et du commerce, en date du 5 août 1852.