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sein des eaux qu’à la surface des terres ; les poissons en effet sont autrement féconds que les mammifères ou les oiseaux. La quantité de leurs œufs à de quoi effrayer l’imagination ; mais le milieu dans lequel ils les déposent est le plus actif des dissolvans. Emportés par les courans, ballottés par les vagues, dispersés dans les immensités de l’espace, ces germes ne sont pas, tant s’en faut tous fécondés. Avant qu’ils soient éclos, la plus grande partie devient l’aliment des poissons, très avides eux-mêmes de leur frai, ou d’animalcules imperceptibles, d’insectes sans nom, qui serviront de proie au petit nombre proportionnel des survivans des pontes. Ainsi la vie monte d’échelons en échelons depuis les infusoires jusqu’à l’homme, ce roi ingrat de la création, et elle en redescend pour animer indéfiniment le cercle où se placent, chacune à son rang, toutes les créatures, toux à tour dévorantes et dévorées, fléau ou pâture de leurs corrélatifs, Les végétaux entrent aussi dans ce cercle mystérieux, et les animaux ne se nourrissent de leur substance que pour leur rendre par la terre ce qu’ils ont reçu d’eux.

Quand on saura quel degré occupe dans l’échelle des êtres chacune des espèces de poissons qui s’approprient aux besoins de l’homme, de quelles plantes ou de quelles chairs elle se nourrit, à quelles autres conditions accessoires est attachée son existence, la pisciculture sera un art complet. Les limites en sont tellement éloignées qu’à peine les entrevoyons-nous, et tellement élastiques qu’elles ne seront probablement jamais définitivement fixées ; mais l’étendue de la carrière à parcourir doit d’autant moins être un motif de découragement qu’un résultat immédiat viendra récompenser chaque pas qu’on y pourra faire.

Les poissons adultes passent en général les trois quarts de l’année à se charger d’œufs et de laitance, et le frai s’effectue dans l’autre quart. L’époque n’en est pas la même pour toutes les espèces, et dans des espèces identiques elle varie suivant les différences des lieux et des températures. Les femelles se débarrassent isolément du poids de leurs œufs, et les mâles viennent à la suite les féconder par l’aspersion de leur laitance. Les cyprins, dont le meilleur est la carpe, fraient à la nage, en pleine eau ; la chaleur paraît exercer une action prédominante sur leur faculté reproductive, et tenir même lieu quelquefois de l’influence des saisons. Ainsi des carpes entretenues dans les bassins où se déversent les eaux échauffées qui sortent des machines à vapeur cessent d’être affectées par la température extérieure, et leurs pontes se succèdent sans interruption. Les salmonées, dont les œufs sont par rapport à leur taille beaucoup plus rares et plus volumineux, remontent pour frayer jusqu’aux sources des eaux vives qui sont leur séjour de prédilection ; elles