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À cette grâce bienfaisante du dévouement filial personne ne pouvait résister. Pie VI lui-même, malgré son peu d’estime pour Charles-Edouard, écrivit des lettres tout amicales à celle qui consolait ses vieux jours et qui relevait l’honneur de son nom.

Cependant la santé du prince allait s’affaiblissant toujours. Il était trop tard pour qu’un changement de vie pût guérir un mal invétéré. Il payait cruellement la peine de ses vices au moment où il les effaçait par son repentir. Son intelligence se voilait, il restait souvent des heures entières sans connaissance. On crut que la douce atmosphère de Rome lui vaudrait mieux pendant l’hiver que la froide bise des Apennins. Il quitta Florence le 2 décembre 1785, pour ne plus y revenir. Sa faiblesse était si grande, qu’il lui fut impossible de faire le voyage autrement qu’à petites journées, il faut presque dire pas à pas. Dès son arrivée à Rome, il parut se réveiller de sa torpeur. Réconcilié avec le cardinal, qui était venu le chercher jusqu’à Viterbe, affectueusement accueilli par le pape, il habitait de nouveau le palais où il était né, et maintes impressions de son enfance, maints souvenirs de sa jeunesse, semblaient aiguillonner en lui l’homme d’autrefois. Ce ne fut qu’un éclair ; le voile qui flottait sur sa pensée devint bientôt plus épais et plus noir. Un voyageur qui le vit souvent vers cette époque, le Milanais Joseph Gorani, raconte qu’il le trouvait à l’ordinaire étendu de tout son long sur un canapé, tantôt dormant, tantôt les yeux ouverts et fixes, presque toujours étranger à ce qui se passait autour de lui. Les soins dont il était entouré, la décence et le bon ordre de sa maison, attestaient pourtant l’action continue d’une influence sereine et bienfaisante que le malheureux n’avait jamais éprouvée avant ce dernier séjour à Rome.

Au milieu de ses engourdissemens, il avait parfois des accès d’une sensibilité délicate et ardente, surtout quand il était question de l’Ecosse et de ses braves highlanders. Peu de temps après son installation à Rome, un visiteur anglais, M. Greathed, l’ami de Charles Fox, ayant été introduit auprès de Charles-Edouard, amena la conversation sur les événemens de 1745. « Ils étaient seuls, dit M. de Reumont, dans la chambre du prince… D’abord Charles-Edouard resta sur la réserve, ce souvenir ainsi évoqué lui causait manifestement une impression pénible ; mais son interlocuteur continuant toujours, il sembla se débarrasser tout à coup d’un poids qui l’accablait : une flamme s’alluma dans ses yeux, une vie extraordinaire anima sa physionomie ; il commença le récit de sa campagne avec une énergie toute juvénile ; il parla de ses marches, de ses combats, de ses victoires, de sa fuite à travers mille dangers, du dévouement absolu de ses Écossais, du sort épouvantable réservé à un si grand nombre