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Lorsque toutes les voix se taisaient, et que le système nouveau qui recommandait la reproduction exclusive de la réalité semblait avoir cause gagnée par la désertion des uns, par la complaisance des autres, parle mutisme de tous, quelqu’un se levait pour protester au nom de la poésie, et pour réclamer ses droits envers et contre tous, même aux dépens de l’art dramatique. Heureux le poète, s’il eût combattu pour cette cause avec des armes forgées par lui plutôt qu’avec les armes prises dans l’arsenal de ses prédécesseurs, si son ardeur s’était appuyée sur une pensée qui lui fût tout à fait personnelle, au lieu de s’appuyer sur un système déjà connu, propriété exclusive d’un grand poète ! Quoi qu’il en soit, cette résurrection du système romantique avait un certain imprévu qui n’était pas sans éclat et sans à-propos, et le poète réussit dans une assez large mesure ; mais il y avait dans les applaudissemens qui lui furent prodigués une réserve cachée qui lui indiquait l’écueil contre lequel il viendrait se briser, s’il s’obstinait à laisser flotter sa barque paresseusement au gré des alexandrins comme un poète nonchalant, enivré de la musique de ses vers, au lieu de la diriger vigoureusement comme un bon pilote dramatique. La meilleure critique que nous puissions faire de ses précédentes productions dramatiques est de répéter un mot qui nous fut dit par un jeune spectateur très bienveillant le soir de la première représentation de Madame de Montarcy : « Quels que soient les défauts de la pièce, cela fait grand plaisir d’entendre pendant quelques heures ce ramage mélodieux. » Le mot est juste : les premières pièces de M. Bouilhet sont un ramage mélodieux. Ce ne sont que murmures et chansons, festons et astragales. On dirait vraiment des drames joués dans une grande volière par des oiseaux de plumage et de ramage divers. Les personnages peuvent être assimilés à des oiseaux chanteurs qui gazouillent chacun dans le dialecte propre à son espèce ; la jeune fille gazouille et roucoule comme la timide colombe, le bourgeois croasse, la femme éprouvée par la vie gémit, le sceptique siffle, l’amoureux s’abandonne à toutes les roulades de sa fantaisie. Si cette comparaison vous paraît trop forte, changez-la, et dites que tous les personnages parlent comme des poètes, même ceux que l’auteur a voulu représenter comme rebelles à toute poésie. Ce n’est pas que l’action manque dans les pièces de M. Bouilhet ; mais les personnages ne demandent pas mieux que de l’oublier. Tout leur est prétexte à descriptions et à métaphores : un mot lâché dans le dialogue, la vue d’un objet, la mention d’un incident. Ils expriment moins leurs sentimens qu’ils ne les racontent, et sont plus préoccupés de parler en beaux vers du but qu’ils poursuivent que de poursuivre ce but lui-même. Ce défaut, assez heureusement dissimulé dans la première pièce de M. Bouilhet et pardonnable d’ailleurs, vu la nature du drame, a éclaté avec tout ce qu’il a de choquant et de contraire aux lois dramatiques dans Hélène Peyron, dont le sujet, pris dans la réalité contemporaine, ne supportait pas plus que ne les supporte notre vie moderne les longues tirades et le langage métaphorique. Il est à la rigueur permis à l’imagination de supposer que les personnages de la cour de Louis XIV pouvaient se passer dans la conversation toute sorte de fantaisies poétiques ; mais il en est tout autrement de nos bourgeois en habit noir et de nos bourgeoises en crinoline. Ici les ressources de la perspective