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exagérés et des complaisances trop empressées qui avaient salué l’entrée du poète dans la carrière dramatique. Quand je vois les poètes et les écrivains trop ardens à forcer la renommée, je m’étonne toujours qu’ils ne réfléchissent pas davantage à la profondeur de cet axiome qui est aussi vrai en morale qu’en physique : la réaction est toujours égale à l’action. Plus le mouvement agressif sera violent et exagéré, plus, à un jour voulu, la réaction sera douloureuse et imméritée. Il y a une souveraine imprudence à vouloir recueillir dès le début le plus gros prix possible de ses efforts, c’est le moyen le plus infaillible de se ruiner dans l’avenir. Si vous demandez beaucoup au public, et qu’il vous accorde, pour votre malheur, tout ce que vous lui demandez, il exigera beaucoup en revanche, il exigera trop peut-être ; ainsi le veut l’impitoyable loi des compensations. Et que pourrez-vous dire pour votre défense, lorsqu’il répondra à vos réclamations : « Je ne vous dois plus rien, je vous ai payé dès le premier jour, alors que je ne vous devais rien encore ? Vous m’avez demandé dès votre début le prix de toute une vie de travail, je vous l’ai donné sans autre garantie qu’une hypothèque très incertaine sur votre avenir et sur les chances de votre inspiration. C’est à vous de me rendre en efforts mes encouragemens et en enthousiasme poétique ma sympathie. Applaudissemens, couronnes, ovations, je vous ai tout donné et je ne m’en repens pas, mais je regrette que vous ayez mal interprété mes intentions et que vous ayez vu dans ma prodigalité le salaire légitime du travail que vous aviez accompli plutôt que le salaire anticipé du travail futur. » Sans doute le poète ne pourrait rien répondre, et cependant ce discours bien souvent n’est pas irréfutable et soulève plus d’une objection. Si le poète ne peut pas s’adresser au public, la critique alors doit parler à sa place. « Qui donc vous forçait, peut-elle répondre, d’être si docile aux vœux du poète, et pourquoi le prendre au mot avec tant d’empressement ? Est-ce par malice ? est-ce par caprice ? Si c’est par malice, le jeu est cruel ; si c’est par caprice, il est presque immoral. Le poète vous demandait votre enthousiasme, vous étiez libre de ne pas l’accorder : il ne fallait lui donner que votre attention ; il vous demandait vos applaudissemens, il fallait vous borner à l’encourager. Vous avez cru devoir faire plus : est-il juste qu’il en porte la peine ? Parce que vous lui avez trop donné autrefois, est-il juste que, pour rétablir l’équilibre, vous ne lui donniez pas assez aujourd’hui ? Ses productions précédentes ne valaient pas tout le bruit que vous avez fait autour d’elles, et vous l’en punissez sur son œuvre nouvelle, qui mérite mieux que la froideur avec laquelle vous l’avez accueillie. Pourquoi avez-vous fait des promesses que vous n’étiez pas sûr de pouvoir tenir ? pourquoi avez-vous fait contracter au poète une dette trop forte, si c’était pour la réclamer à une échéance trop courte et refuser l’à-compte très raisonnable qu’il vous offre aujourd’hui ? Il y a quelque chose de cruel et presque d’inique dans cette générosité capricieuse doublée d’une exigence tyrannique. Puisque vous avez cru devoir lui donner ce qu’il vous demandait, il faut maintenant attendre avec une patience sympathique qu’il ait eu le temps de s’acquitter envers vous. »

La conclusion de cet exorde, c’est que nous devons nous défier de cet axiome, très controversable, qui prétend qu’il faut obtenir trop pour avoir