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code pénal et du code de procédure criminelle. À la suite de ces débats et comme appendice aux mesures qui venaient d’être votées, le gouvernement saxon conclut avec plusieurs cabinets de l’Allemagne des conventions relatives à l’extradition des accusés. Par une de ces conventions, en date du 28 novembre, la Saxe et l’Autriche s’engageaient réciproquement à se livrer les criminels réfugiés sur leur territoire. Il s’agissait de criminels, il s’agissait de crimes tels que les définissent les lois chez tous les peuples chrétiens ; dans l’esprit des chambres et, nous en sommes convaincus, dans l’esprit du ministère saxon, ce n’étaient pas des opinions politiques, ce n’étaient pas des regrets et des espérances que l’on voulait frapper. Non, sous le règne du prince qui a commenté la Divine Comédie et consacré de si nobles pages à l’exilé de Florence, ce n’était pas contre les exilés qu’on inscrivait sur les frontières de la Saxe les sinistres paroles : voi ch’entrate… Vous qui entrez dans ce pays, si vous êtes Italien et que vous ayez fait des vœux pour l’indépendance de l’Italie, si vous êtes de race slave et que vous ayez réclamé des institutions nationales pour la Galicie et la Bohème, si vous êtes Hongrois et que vous ayez défendu votre patrie aux heures décisives où il est impossible de rester neutre, sachez-le bien, nous vous livrerons à l’Autriche.

Le ministère saxon vient d’agir comme si cet écriteau honteux était planté en effet aux portes de Dresde et de Leipzig. M. le comte Ladislas Téléki, réfugié hongrois voyageant avec un faux passe-port, où il était désigné comme sujet de l’Angleterre, a été arrêté par la police de Dresde. Dans tout autre pays, il eût été simplement reconduit à la frontière ; le gouvernement saxon l’a livré au gouvernement autrichien, et le noble patriote hongrois est aujourd’hui dans ces prisons qui rappellent tant de tristes souvenirs.

Qu’est-ce donc que le comte Ladislas Téléki ? Un des plus dignes représentans de la noblesse magyare. Héritier d’un grand nom, disciple et successeur des hommes qui, vers 1820, ont commencé la régénération du pays par la régénération des hautes classes, M. le comte Téléki a consacré sa vie à l’étude des lois de son pays et des besoins nouveaux qui s’y produisent. Un célèbre écrivain hongrois, M. Moritz Jokay, dans un dramatique tableau de mœurs, a vivement peint, et l’une en face de l’autre, deux familles ou plutôt deux périodes de la noblesse de son pays : d’un côté l’ancienne aristocratie, façonnée aux usages de la cour de Vienne, n’ayant d’autre ambition que de montrer ses uniformes dans les salons, pleine de mépris pour la langue et les mœurs nationales, incapable d’une pensée sérieuse, d’un travail utile, dégradée enfin par l’inaction autant que par la bassesse des sentimens, et quand elle revenait séjourner quelque temps dans ses domaines, se livrant pour se désennuyer aux plus puériles extravagances ; de l’autre au contraire, la jeune noblesse, active, laborieuse, passionnée pour le pays natal, étudiant les ressources du sol et le travail des esprits, étudiant aussi l’Europe, s’initiant aux lumières nouvelles, s’efforçant de les répandre parmi le peuple, en un mot préparant par tous les moyens la renaissance intellectuelle et morale de la patrie, condition première et gage assuré de sa rénovation politique. Le comte Ladislas Téléki tenait dignement sa place dans cette jeune phalange quand les événemens de 1848 vinrent le mettre plus particulièrement en évidence ; c’est lui qui fut chargé de représenter le