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aucune surtaxe. Comme le paiement de cette surtaxe est en général subordonné à la consommation, le contribuable a toujours le moyen d’y échapper. Restait l’emprunt. Il est vrai que la république aurait pu en user plus largement qu’elle ne l’a fait et trouver là tous les millions dont elle avait besoin. Au lieu de chercher à faire des emprunts patriotiques au pair lorsque la rente était à 75 francs, il suffisait peut-être d’attendre et de réduire le taux d’émission au-dessous du cours de la Bourse, en donnant un bénéfice à réaliser aux prêteurs, et la république aurait réussi comme on a réussi depuis. Elle a préféré braver l’impopularité d’une surtaxe extraordinaire sur la seule matière imposable qui existât alors afin de ne pas emprunter à des conditions onéreuses et léguer au pays une charge perpétuelle. L’histoire, plus impartiale que les contemporains, lui saura gré de cette conduite, et dira que, s’il y a eu un acte honnête dans l’administration de la république de 1848, ce fut cet impôt des 45 centimes, si sévèrement jugé. Les emprunts sont légitimes lorsqu’on les contracte pour. dès entreprises d’un effet durable, comme les grands travaux d’utilité publique : il est naturel que les générations à venir, qui profiteront de ces travaux, en supportent les charges ; mais de quel droit faire peser sur elles des charges créées pour des dépenses qui ne leur profitent pas, qui sont le résultat d’un trouble momentané, d’un intérêt transitoire ? On peut faire le même raisonnement sur ce qui concerne les dépenses de la guerre. En 1855 et 1856, les Anglais n’ont pas craint de défrayer en grande partie leur expédition de Crimée avec des taxes extraordinaires, de doubler pour ainsi dire à cet effet l'income-tax et d’emprunter le surplus sous forme d’annuités remboursables en trente ans, de façon à ce que l’avenir ne fût pas grevé indéfiniment des charges provenant de cette guerre. Nous avons agi autrement : nous avons cru devoir demander à l’emprunt, et à l’emprunt seul, toutes les ressources extraordinaires dont nous avions besoin. Qu’en est-il résulté ? Nous avons augmenté le chiffre de notre dette publique de l’intérêt de 1 milliard 500 millions empruntés, soit de 75 millions, et légué à nos descendans, et à perpétuité, une charge considérable pour un résultat qu’ils n’apprécieront peut-être pas bien. En Angleterre, au bout de trente ans, il n’y aura plus trace des charges de la guerre de Crimée.

Une autre considération rend les impositions extraordinaires préférables aux emprunts, lorsqu’il ne s’agit pas de dépenses productives : c’est l’impression différente qu’elles éveillent dans les populations. Lorsqu’il s’agit d’un emprunt, tout est facile, on n’a qu’à baisser le taux de l’émission au-dessous du cours de la Bourse, et aussitôt les souscriptions abondent ; la charge indéfinie que l’on crée disparaît devant le bénéfice immédiat que l’on réalise. Aussi ce