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une diminution de jouissance : c’est le plus souvent un prélèvement opéré sur le strict nécessaire. Cette considération n’est pas la seule d’ailleurs qui ait son importance. « Il est certain, dit Vauban, que plus on tire des peuples, plus on ôte de l’argent au commerce, et celui du royaume le mieux employé est celui qui demeure entre ses mains, où il n’est jamais ni inutile, ni oisif. » A l’époque où parlait ce grand homme, l’on ne connaissait pas bien encore l’utilité de l’argent et sa puissance productive. Aujourd’hui il n’y a plus guère de capitaux oisifs ; tout ce qu’on paie au fisc sous forme d’impôts est enlevé au commerce et à l’industrie, et diminue non-seulement la richesse présente, mais la richesse future. Prenons un exemple, supposons que l’état, à force d’économie et sans porter atteinte à aucun service essentiel, opère une réduction de 200 millions sur un budget de 2 milliards : voilà 200 de plus ajoutés à l’épargne annuelle du pays ; par conséquent, si elle est aujourd’hui de 6 à 700 millions, comme on l’admet, elle arrive immédiatement à 8 ou 900 millions. Supposons maintenant que ces 200 millions appliqués à des travaux utiles, n’augmentent le revenu annuel que de 10 pour 100 : au bout de sept ou huit ans, avec les intérêts composés, la somme est doublée, et l’épargne du pays atteint près de 1 milliard 100 au lieu de 6 ou 700 millions qu’elle comprend aujourd’hui. Appliquez ce calcul à un laps de temps plus considérable et faites la réduction plus forte ; supposons par exemple qu’on ait pu s’en tenir à ce milliard qui, il y a trente ans, scandalisait si fort l’opposition, et l’on pourra calculer quel eût été le développement de la richesse publique sans cette augmentation progressive des dépenses du budget. Il est bien entendu qu’en parlant des dépenses improductives de l’état, nous ne faisons allusion qu’à celles qu’on pourrait épargner sans porter atteinte aux services essentiels ; il y a dans les dépenses de l’état des dépenses qui sont productives au plus haut degré, celles par exemple qui ont rapport au maintien de l’ordre, à l’administration de la justice et à la sécurité du territoire.

Non-seulement un pays ne doit pas payer plus d’impôts par cela seul qu’il est plus riche, mais on peut encore se faire illusion sur la nature de sa richesse ’et sur les ressources qu’elle peut fournir en tout temps. Pour que la France paie aujourd’hui un budget de 2 milliards aussi facilement qu’elle payait il y a trente ans un budget d’un milliard, il faut que la fortune publique ait doublé depuis cette époque. Est-il bien sûr qu’il en soit ainsi ? S’il est vrai que la fortune mobilière ait considérablement augmenté, qu’il y ait aujourd’hui une masse de valeurs industrielles et autres dont la moitié n’existait point autrefois, s’il est vrai encore que notre commerce