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Déjà vingt attentats, aussi criminels qu’inutiles, soudoyés par l’or anglais, n’avaient-ils pas été dirigés contre ses jours ? Il disait un éternel adieu à la vie active, à la gloire, et voulait se consacrer exclusivement au bonheur domestique.

— Et vous compter sur mon concours dans cette œuvre abominable ? repris-je avec une véhémence que je ne pus maîtriser. Vous me méprisez assez pour croire que je prêterais les mains à cet infâme projet !

— Vous réfléchirez à deux fois avant de me déclarer la guerre ; elle serait plus dangereuse pour vous que pour moi, ajouta Ragozzi avec une froide impertinence qui fit tressaillir toutes les libres de mon cœur.

L’entrée d’Henrik termina cette conversation. Après un court repas, les chasseurs prirent le chemin du rendez-vous de chasse, où nous devions aller les rejoindre vers le milieu de la journée, pour assister à un combat de bélier et de sanglier, cruel, mais curieux spectacle dont les havanais se montrent très avides.

Comme il avait été convenu, Anadji et moi, nous arrivâmes au rendez-vous à une heure, un peu avant le commencement de ce sanglant intermède. La traque qui venait de finir avait été dirigée vers une palissade au pied de laquelle s’ouvrait une sorte de chemin creux, dont l’extrémité aboutissait à une manière de tour construite en bambous. Pour échapper aux balles, une demi-douzaine de sangliers avaient mis à profit cette voie de salut, et se trouvaient en ce moment prisonniers dans la tour. Cette tour communiquait par une trappe à une vaste cage qui devait servir d’arène aux combattans. Quelques dames des environs, les-chasseurs, Anadji et moi prîmes place sur une estrade élevée devant la cage ; derrière nous, une assemblée nombreuse de natifs suivait avec anxiété les préliminaires du tournoi. Des écuyers et varlets improvisés s’occupaient à revêtir le bélier de son armure, un fer de lance fortement fixé au milieu du front de l’animal par des lanières. Ces préparatifs terminés, les spectateurs natifs vinrent s’assurer à l’envi que le fer était solidement attaché, car la foule protège de ses sympathies le bélier contre l’animal immonde. Le bélier fut ensuite amené devant la loge, mais ses allures n’étaient pas celles d’un galant paladin, et il fallut presque la violence pour l’introduire dans l’arène. Pendant ce temps, les sangliers inquiets tournaient en rugissant dans la tour, ou se précipitaient avec fureur contre les bambous, comme s’ils avaient le pressentiment des jeux sanglans dont ils devaient être victimes. Le bélier une fois introduit dans la cage, on leva la trappe de la tour, et un gros sanglier, détourné à coups de lance, fut amené en présence du bélier. Ce dernier, l’œil clair, le front haut, semblait parfaitement