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de sa santé, il se trouvait dans une position d’argent si difficile qu’il devait faire appel à l’obligeance de ses amis, — ses amis, osa-t-il dire ! — appel qui serait sans doute entendu ! Ces derniers mots furent prononcés lentement, comme pour bien me faire comprendre qu’un sacrifice d’argent considérable pouvait seul m’assurer le bénéfice de son silence. Ai-je besoin de vous dire avec quelle joie j’accueillis ces ouvertures et offris à mon interlocuteur les quelques milliers de francs que j’avais tout dernièrement placés chez M. Hémond ? Bien convaincu comme il l’est du fatal pouvoir qu’il exerce sur moi, Ragozzi ne parut pas surpris de mes offres généreuses. Ma position dans la famille van Vliet, me répondit-il avec un grand sang froid, lui faisait comprendre que mes finances ne pouvaient être dans un état bien florissant ; il n’acceptait, je devais en être bien convaincue, ce denier de l’exilée que parce qu’il était certain de me rembourser avant peu mes avances. Il termina en m’annonçant qu’il était heureux de pouvoir me donner des nouvelles satisfaisantes de son ami. Ce dernier, après sa fuite, avait trouvé dans l’Inde anglaise une position modeste, mais honorable, et acceptait avec une résignation digne d’éloges les épreuves de sa destinée.

Ma joie fut grande après cette entrevue ; une faveur insigne de la Providence me permettait de conjurer par un léger sacrifice d’argent les nouveaux orages qui avaient menacé ma tête. Pour me délivrer au plus vite de l’odieuse présence de Ragozzi, j’écrivis immédiatement à M. Hémond, et le priai de m’envoyer sans retard les fonds que je lui avais confiés ; mais cet envoi demanda quelques jours. Sur ces entrefaites, j’eus le bonheur de revoir Hendrik, qui, à peine débarqué, avait pris le chemin de Tjikayong. Ses instances, le désir de ne pas priver ma pupille d’un plaisir cher à son âge, triomphèrent de mes sombres humeurs, et j’assistai au bal donné à Buitenzorg pour la fête de la gouvernante. Le bon commodore nous avait précédées dans cette belle résidence et était parti l’avant-veille du bal pour aller rejoindre à Buitenzorg son compagnon du Ruyter, M. Belpaire. M. Belpaire !… Ce nom bien certainement ne frappe pas mon oreille pour la première fois !… Mais au milieu du tumulte du bal où notre compatriote me fut présenté, je cherchai vainement, comme je cherche encore aujourd’hui, à rassembler mes souvenirs à son endroit. Hendrik et son ami vinrent nous rejoindre ici dans le commencement de la dernière semaine. Les environs de Tjikayong sont si riches en belles promenades que, depuis l’arrivée de M. Belpaire, tout notre temps pour ainsi dire a été consacré à des excursions pittoresques ; hier c’était le tour du lac Tjelagabodas. Ragozzi n’avait pas manqué de se joindre à la partie, quoique les manières hautaines d’Hendrik eussent dû lui faire comprendre dès le premier