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DEUX JOURS
DE SPORT A JAVA



ROGER BELPAIRE A CLAUDE DE MARNE
(39, rue d’Amsterdam, à Paris.)


Calcutta, Spence’s Hôtel, 13 juin 1854.

Sic facta voluerunt ou voluere, comme dit Lhomond : demain, mon vieil ami, sauf obstacle imprévu, je mets le cap sur Java, via Penang et Singapour. Comme je ne doute pas que tu ne salues cette nouvelle en me prodiguant les noms de Juif errant, de Robinson, Gulliver, et autres touristes distingués, je dois à ma dignité peu offensée de te donner très en détail les motifs graves qui m’ont engagé à pousser cette reconnaissance vers les îles du détroit de la Sonde. Prêtez à ce récit, seigneur, une oreille attentive. Une de mes anciennes connaissances de Simlah m’avait invité avant-hier à venir dîner à la mess du fort William. À sept heures, j’étais installé à la table du 18e régiment de l’armée royale, où se trouvait réuni en ce moment un effectif fort respectable de vestes rouges et d’uniformes bleus. Les officiers de la reine traitaient ce jour-là l’état-major de la corvette hollandaise le Ruyter, arrivée récemment dans les eaux de l’Hoogly, et dont, à plusieurs reprises déjà pendant la promenade du soir, j’avais admiré les formes élégantes et la bonne tenue. Le hasard de l’étiquette me fit placer à table entre mon hôte et le capitaine de la corvette hollandaise, un homme de trente-cinq ans environ, à la voix harmonieuse, au regard bienveillant, aux manières exquises, pour lequel je me sentis pris à première vue d’un de ces entraînemens sympathiques qui, comme, l’amour, naissent