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type primitif, tous les individus plus ou moins éloignés de ce type, mais qui s’y relient par une filiation ininterrompue, de même que l’arbre est composé de ses branches, de ses rameaux, tous rattachés au tronc qui les porte et dont ils sont autant de divisions. Enfin on ne peut toucher au moindre ramuscule sans agir sur l’arbre dont il fait partie, et cette simple considération justifie une autre conséquence fort importante pour la question qui nous occupe : à savoir que toute modification imprimée à une race quelconque porte en réalité sur l’espèce d’où cette race est issue immédiatement ou médiatement.

Et maintenant qu’on suppose le tronc de notre arbre réduit à une courte souche que des alluvions auraient profondément enfouie et cachée sous terre : comment reconnaître si les maîtresses branches, qui sortent isolément du sol, sont les produits communs de cette souche, ou bien les tiges d’autant d’arbres distincts ? les naturalistes se trouvent trop souvent dans un embarras pareil à ce qu’éprouverait le forestier sommé de décider à première vue. Considérées à part et abstraction faite de l’origine, la race et l’espèce se ressemblent beaucoup. Dans les races bien établies, les caractères sont aussi semblables d’individu à individu, de père à fils, que dans les espèces les plus pures et les moins modifiées ; la transmission en est tout aussi régulière. Par suite, les naturalistes se trouvent chaque jour en présence de groupes animaux ou végétaux semblables à certains égards, dissemblables sous certains autres, et dont ils ignorent les relations ; ils ont donc à se demander bien souvent si ces groupes doivent être isolés les uns dès autres et former autant d’espèces distinctes, ou bien s’ils doivent être réunis à titre de races en une seule et unique espèce. C’est précisément en ces termes que se pose la question lorsqu’il s’agit de l’homme. Pour lever ces difficultés, une étude comparative sérieuse était nécessaire, et nous ne craignons pas de le dire, cette étude ne pouvait guère être entreprise que de nos jours. Il a fallu les efforts réunis de la science et de l’industrie modernes pour résoudre une foule de ces questions de détail qui, en histoire naturelle, conduisent seule, aux doctrines générales. S’il est permis de conclure aujourd’hui, c’est que, grâce à ce concours, on peut grouper une somme suffisante de résultats et montrer qu’ils nous conduisent tous au même but en s’appuyant sur une double série de faits qui eux-mêmes répondent aux deux idées dominantes dans la définition de l’espèce, — l’idée de ressemblance et celle de filiation. Ce sont ces ; résultats qu’il faudra maintenant exposer, en faisant d’abord l’histoire des races.


A. DE QUATREFAGES.