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chose que les traits individuels, les nuances, comme les appelle M. Isidore Geoffroy, Dès que ces différences dépassent une certaine limite, elles donnent naissance à la variété. Celle-ci, presque toujours individuelle chez l’homme et chez les animaux ou les plantes, qui se reproduisent seulement par voie de générations successives, peut comprendre au contraire un nombre indéterminé d’individus quand il s’agit d’une espèce pouvant se multiplier par un procédé généagénétique quelconque ; mais, même dans ce dernier cas, les caractères différentiels de la variété ne passent jamais d’une génération à l’autre. J’emprunte ici à M. Chevreul un exemple bien remarquable propre à faire comprendre cette distinction. En 1803 ou 1805, M. Descemet découvrit dans sa pépinière de Saint-Denis, au milieu d’un semis d’acacias (robinia pseudo-acacia), un individu sans épines qu’il désigna par l’épithète de spectabilis. C’est de cet individu, multiplié par marcottes, boutures ou greffes, que proviennent tous les acacias sans épines qu’on rencontre aujourd’hui dans le monde entier. Or ces individus produisent des graines, mais ces graines, mises en terre, n’engendrent que des acacias épineux, L’acacia spectabilis est resté à l’état de variété.

La variété peut être définie un individu ou un ensemble d’individus appartenant à la même génération sexuelle, qui se distingue des autres représentans de la même espèce par un ou plusieurs caractères exceptionnels. Ces caractères eux-mêmes peuvent être plus ou moins accusés, et il en résulte que la variété passe insensiblement d’un côté aux simples traits individuels dont nous parlions tout à l’heure, et de l’autre côté aux monstruosités les plus légères, appelées hémitéries par M. Geoffroy[1]. On comprend dès lors combien peuvent être nombreuses et diverses les variétés d’une seule espèce. Il n’est aucune partie de l’être qui ne puisse s’exagérer, s’amoindrir, se modifier de mille manières, et toutes les fois que l’accroissement la diminution, la modification, dépasseront la limite, indécise il est vrai, mais pratiquement appréciable, des traits individuels, on aura à constater une variété de plus.

Lorsque les caractères qui distinguent une variété passent aux descendans du végétal ou de l’animal qui les avait présentés le premier, lorsqu’ils deviennent héréditaires, il se forme une race. Par exemple, si un des acacias dont nous venons de parler portait des graines d’où sortiraient des arbres également sans épines, si ceux-ci à leur tour jouissaient de la même propriété, si l’acacia spectabilis en arrivait ainsi à se reproduire naturellement, il cesserait d’être une simple variété ; il constituerait une race. La race sera

  1. Histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation.