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causes nous en trouverons qui agissent alternativement dans les deux sens. Voyons d’abord les raisons principales qui militent en faveur de la fixité.

Laissons de côté les faits cités par une foule de botanistes, et qui démontrent l’invariabilité des espèces végétales pendant des périodes de deux ou trois siècles ; remontons tout de suite jusqu’aux premiers temps historiques. Les hypogées égyptiens nous fournissent sur la végétation de ces époques reculées des données parfaitement précises. On y a retrouvé une foule de végétaux qui croissent encore dans le voisinage, et la comparaison entre les échantillons recueillis dans ces antiques tombes et les plantes vivantes a prouvé que non-seulement les espèces proprement dites, mais encore certaines races, n’avaient pas varié depuis l’époque des premiers Pharaons. Cette identité de caractères a été même constatée d’une façon assez piquante dans le cas suivant. Le voyageur Heninken avait rapporté de la Haute-Égypte des pains trouvés dans les tombeaux remontant à l’époque la plus reculée. Ces pains furent remis au célèbre botaniste Robert Brown, qui retira de leur pâte des glumes d’orge parfaitement intactes[1]. En les étudiant avec soin, il reconnut à la base de ces glumes un rudiment d’organe qu’on n’avait pas indiqué dans les orges de nos campagnes, et peut-être crut-il un moment avoir sous les yeux une preuve de variation dans ces enveloppes florales ; mais un nouvel examen lui fit retrouver dans nos orges ce même organe rudimentaire. L’étude attentive de ce débris d’une plante broyée depuis cinq ou six mille ans a donc révélé l’existence d’un caractère assez peu saillant pour avoir échappé à la loupe d’une foule de botanistes, et qui n’en a pas moins traversé sans altération cette longue suite de siècles.

Parmi les espèces végétales actuellement vivantes, il en est qui fournissent à ce résultat une contre-épreuve curieuse. On sait que l’âge des arbres dicotylédones se reconnaît au nombre des couches concentriques, dont se compose leur tronc. Même parmi nos arbres européens, il en est qui à ce compte dateraient d’une époque bien reculée. On a compté 280 de ces couches sur un if dont la circonférence était seulement de 1 mètre 50 centimètres environ. Or l’if de Foullebec, dans le département de l’Eure, avait en 1822 6 mètres 80 centimètres de pourtour. Celui de Fortingall, en Écosse, atteint, dit-on, près de 16 mètres de circonférence. Deslongchamps en tire la conséquence que si les conditions du développement ont été les mêmes pour ces différens arbres, l’if de Foullebec est âgé de onze à douze cents ans, et celui de Fortingall de plus de trois mille. Le chêne de nos forêts prête à de semblables calculs : il croît très

  1. On appelle glume ou baie l’enveloppe extérieure de la fleur des graminées.