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de deux faunes appartenant à des époques géologiques distinctes ne devaient pas être attribuées aux changemens survenus dans les conditions d’existence, dans le milieu ambiant. Plus tard il généralisa cette question, et, sans prétendre la résoudre, il fit valoir chaudement les raisons qui militent en faveur d’une réponse affirmative. Cuvier s’était formellement prononcé pour la négative. L’auteur des Mémoires sur les Ossemens fossiles se voyait attaqué sur un terrain où il avait jusque-là régné en maître ; il dut se défendre, et ainsi surgirent les grands débats qui se sont prolongés, on peut le dire, jusqu’à nos jours. D’une part, dans un livre tout récent et remarquable à bien des titres, un naturaliste anglais, M. Darwin, a cherché à expliquer l’origine de la multiplicité des espèces animales et végétales. Il les fait toutes descendre d’un archétype primitif, modifié, transformé successivement de mille manières par des actions extérieures et les conditions d’existence ; il paraît rattacher ces changemens surtout aux phénomènes géologiques. M. Darwin a ainsi fondu ensemble, dans sa théorie, les idées de Lamarck sur la variabilité des espèces et celles de Buffon sur les causes de leurs variations, tout en faisant de sa théorie des applications qui rappellent les doctrines de Geoffroy. Le naturaliste anglais a d’ailleurs poussé les unes et les autres bien au-delà de tout ce qu’avaient admis ses devanciers français. D’autre part, M. Godron a publié un excellent ouvrage, exclusivement consacré à la question de l’espèce : le professeur de Nancy se prononce de la manière la plus tranchée dans le sens de l’invariabilité. En ce qui concerne les espèces vivantes, il va aussi loin que Blainville, sans pourtant se placer complètement sur le même terrain, et résout dans les termes suivans la question paléontologique : « Les révolutions du globe n’ont pu altérer les types originairement créés ; les espèces ont conservé leur stabilité jusqu’à ce que des conditions nouvelles aient rendu leur existence impossible : alors elles ont péri, mais elles ne se sont pas modifiées. »

Ces conclusions absolues dans un sens ou dans l’autre sont certainement prématurées ; Nous ne possédons pas encore les données nécessaires pour résoudre le problème posé par Geoffroy. L’expérience et l’observation nous fournissent des faits suffisans pour aborder la question de l’espèce, considérée dans la période géologique actuelle ; l’une et l’autre nous font à peu près complètement défaut quand nous voulons remonter aux âges antérieurs. Ici il faut presque toujours renoncer à la certitude et même à la probabilité scientifiques pour se contenter de possibilités. Or on sait combien est grande la distance qui sépare le possible du réel : nul n’a le droit de conclure de l’un à l’autre. C’est là ce qu’a très nettement exprimé