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pendant presque toute sa vie, Linné affirme la fixité, l’invariabilité de l’espèce. Appuyé sur la Bible, il déclare que toujours le semblable engendre son semblable, et qu’il n’y a point d’espèce nouvelle. Plus tard, entraîné par un mélange de choses vraies et d’idées inexactes, il fait à la variabilité une part des plus larges. Il admet que toutes les espèces d’un même genre de plantes proviennent, d’une espèce unique à l’origine, et pour lui le croisement, l'hybridation, est le procédé à peu près exclusivement mis en œuvre par la nature pour atteindre ce résultat. L’immense majorité des végétaux n’aurait dans cette hypothèse, qu’une origine de seconde main pour ainsi dire, et des espèces nouvelles pourraient chaque jour prendre naissance sous nos yeux.

Comme Linné, Buffon crut d’abord à la fixité absolue, et représenta la nature comme imprimant sur chaque espèce ses caractères inaltérables. Plus tard, il embrassa la croyance contraire, et admit dans chaque famille, à côté des altérations particulières qui produisent de simples variétés une dégénération plus ancienne et de tout temps immémoriale, transformant les espèces elles-mêmes. Ici encore il se rencontra avec son illustre rivale du moins quant au fait général ; mais Buffon regarda comme les causes du changement, de l’altération et de la dégénération, la température du climat, la qualité de la nourriture, et pour les animaux domestiques les maux de l’esclavage. C’était substituer la doctrine des actions de milieu, de l’influence des conditions ; d’existence, à la théorie linnéenne de l’hybridation. Au reste, après avoir exploré pour ainsi dire les deux hypothèses extrêmes de la fixité absolue et d’une variabilité presque indéfinie, Buffon se trouva ramené par ses propres travaux à une doctrine moyenne nettement exprimée dans ses derniers écrits. « L’empreinte de chaque espèce, écrivit-il alors, est un type dont les principaux traits sont gravés en caractères ineffaçables et permanens à jamais ; mais toutes les touches accessoires varient. » Le milieu resta d’ailleurs pour lui la cause de ces variations. Là, est la doctrine définitive de Buffon, qu’on peut appeler celle de la variabilité limitée ; là est aussi la vérité.

Les opinions tour à tour professées par Linné et par Buffon ont servi de point de départ à autant de doctrines qui se sont propagées jusqu’à nos jours. Cuvier et toute l’école positive, qui le reconnaît pour chef, se sont déclarés pour la stabilité de l’espèce. Blainville, qui d’ordinaire semble se préoccuper avant tout de ne pas être de l’avis de Cuvier, se rencontre ici avec lui, et va plus loin encore ; Pour lui, « la stabilité des espèces est une condition nécessaire à l’existence de la science. » En revanche, l'école philosophique adopta généralement la croyance d’une variabilité indéfinie ; Pour Lamarck,