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résultats que la science moderne a su dégager du chaos apparent des observations précédemment accumulées[1]. L’idée de filiation se précise ainsi en se complétant. Les séries spécifiques ne nous apparaissent plus comme composées seulement d’individus, mais bien comme formées de familles qui se succèdent, et dont chacune provient d’une ou de deux familles précédentes. La famille physiologique est donc le point de départ, l’unité fondamentale de l’espèce, comme celle-ci l’est du règne tout entier[2]. Ces idées générales seront facilement comprises en tant qu’elles intéressent les animaux, ceux surtout qui vivent le plus communément sous les yeux de l’homme. Peut-être paraitra-t-il étrange à quelque lecteur d’en faire l’application aux végétaux ; mais qu’on ne l’oublie pas, dès qu’il s’agit des fonctions de la reproduction, des rapports qui relient les unes aux autres les générations successives, il se manifeste entre les deux règnes des ressemblances qui vont jusqu’à l’identité. À diverses reprises, et surtout dans mes études sur les métamorphoses, j’ai insisté ici même sur une multitude de faits qui mettent hors de doute ce résultat fondamental. Chez la plante comme chez l’animal, il y a des époux et des épouses, des pères et des mères, des fils et des filles. Seulement ces liens de parenté sont souvent voilés par les dispositions, la structure, surtout l’état d’agrégation des organismes végétaux. Ici l’individualité elle-même se dissimule parfois et devient indécise pour l’homme étranger à la science ; mais celle-ci, nous l’avons vu, a su aller au-delà des apparences, déterminer l’individu et reconnaître son sexe. Il lui est donc facile de remonter à la famille physiologique et de constater qu’elle se retrouve dans le règne végétal tout comme dans le règne animal.

Qu’il me soit permis d’insister sur quelques exemples propres à faire mieux comprendre combien il est difficile de séparer l’idée de filiation de l’idée d’espèce. La famille physiologique peut n’être composée que des quatre élémens que nous avons nommés plus haut : deux parens et deux enfans de différens sexes. Quelques espèces animales, le chevreuil par exemple, réalisent ce groupe typique ; mais elle peut aussi s’étendre prodigieusement, et les enfans peuvent, soit pendant toute leur vie, soit à certaines phases de leur existence, ressembler fort peu à leurs parens directs. Chez les espèces animales dont la reproduction présente des phénomènes de généagenèse,

  1. Voyez sur cette question la série sur les Métamorphoses et la Généagénèse dans la Revue des Deux Mondes du 1er et 15 avril 1855 ; du 1er et 15 juin ; et du 1er juillet 1856.
  2. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, guidé par des considérations différentes de celles que nous venons d’exposer, est arrivé le premier à cette conclusion, dont le lecteur comprendra aisément l’importance capitale. M. Geoffroy désigne la famille physiologique dont il s’agit ici par le nom de compagnie, pour la distinguer de la famille naturelle, simple groupe de classifications et par cela même toujours plus ou moins arbitraire.