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supérieur aux forces physico-chimiques ; elle a prouvé en outre que ce fait est déterminé exclusivement par l’influence de la vie et par l’intermédiaire d’un organisme préexistant[1]. Toujours un être vivant quelconque provient d’un autre être vivant. L’ensemble des êtres organisés, considéré dans le temps, se compose donc de séries ininterrompues, et il est impossible de ne pas voir dans ces séries ce que le vulgaire comme les savans ont appelé les espèces.

Théoriquement parlant, un parent, ou être engendrant, et un-fils, ou être engendré, qui deviendrait parent à son tour, peuvent suffire à l’établissement indéfini d’une de ces séries. En fait, nous savons que les choses se passent autrement, et que toujours les deux termes précédens sont au moins doubles, et comprennent un père et une mère, un fils et une fille. C’est encore là un des beaux

  1. On voit que nous regardons comme définitivement condamnée la doctrine des générations spontanées. Il devient en effet bien difficile de s’expliquer comment cette doctrine peut compter encore quelques partisans parmi des hommes dont le mérite est d’ailleurs très réel. Au reste, leur nombre diminue rapidement, et la plupart d’entre eux répètent sans doute l’exclamation que nous avons entendue sortir de la bouche d’un chimiste très habile qui avait eu longtemps une foi entière aux générations spontanées. « Encore une illusion qui s’en va ! » s’écriait-il après une assez longue causerie sur les expériences si concluantes de M. Pasteur. Ces expériences répondent en effet aux dernières chicanes qu’on pouvait adresser encore à plusieurs autres savans, à MM. Schwann et Henle entre autres. Ceux-ci avaient déjà opéré d’une manière comparative sur des infusions ou des mélanges dont les uns étaient exposés à l’air libre, tandis que les autres ne recevaient que de l’air tamisé à travers des acides énergiques ou des tubes rougis au feu. Toujours ils avaient vu les premiers donner promptement naissance à des moisissures, à des infusoires, tandis que les seconds ne présentaient aucune trace de production organique. Schwann, Henle et presque tous les naturalistes avaient conclu de ces faits que les végétaux et les animaux inférieurs qui apparaissent dans les infusions proviennent des germes que l’air y dépose sous forme de poussière, et nullement de la réaction des élémens morts qui entrent dans la composition de l’infusion ou du mélange. Ils avaient admis également que, pour empêcher l’apparition des moisissures, des infusoires, etc., il suffisait de désorganiser ces germes soit par la chaleur, soit par un tout autre moyen. Les partisans de la génération spontanée répondaient qu’en passant soit dans un tube fortement chauffé, soit sur des acides, l’air, bien que ne changeant pas de composition, devenait impropre à donner naissance à un être organisé ; ils disaient que cet air était devenu inactif. En outre ils niaient l’existence des germes, bien que ceux-ci eussent été vus et décrits, notamment par Ehrenberg. Or M. Pasteur, grâce aux dispositions ingénieuses qu’il a imaginées, a recueilli ces germes et les a semés dans des infusions plongées dans une atmosphère de cet air prétendu inactif ; ils s’y sont parfaitement développés. D’autre part, le même expérimentateur a montré qu’il suffisait de donner au ballon qui renferme une infusion quelconque une forme telle que les germes ne pussent pas arriver jusqu’au liquide pour que celui-ci ne présentât aucune trace de moisissure, alors même qu’il était en communication directe avec l’air ordinaire. L’existence des germes, le rôle qu’ils jouent dans les prétendus phénomènes de génération spontanée, ont été mis ainsi hors de toute discussion pour quiconque ne cherche ses convictions que dans l’observation et l’expérience. Ajoutons que les belles recherches de M. Balbiani sur la reproduction sexuelle des infusoires ont fait rentrer ce groupe dans la loi commune et enlevé aux partisans de la génération spontanée jusqu’aux argumens qu’ils auraient, pu tirer de l’ignorance où l’on était naguère encore sur ce sujet.