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Brésil, l’Égypte, les côtes de Guinée, fournissent aux industriels anglais à peine un cinquième de ce que leur expédient les seuls planteurs des États-Unis ; un douzième seulement provient des colonies anglaises. Qui ne voit pourtant sur quelles bases fragiles repose cette supériorité des producteurs américains ? Qu’une insurrection servile redoutée à bon droit vienne à éclater, et les champs restent incultes, la graine de coton laisse envoler son duvet à tous les vents, les mille grands navires qui transportaient la précieuse fibre restent inactifs dans les ports ; les fabriques anglaises, ruches immenses où bourdonnaient des cent mille ouvriers, sont en un instant désertes ; cinq millions d’êtres humains qui vivent directement ou indirectement de la fabrication du coton sont jetés en proie à la famine ; les banques se ferment comme les usines, les fortunes les mieux établies s’écroulent, le pain du pauvre et les millions du riche s’engouffrent en une même banqueroute. Dans le monde entier, le commerce et l’industrie s’arrêtent, et des années s’écoulent peut-être avant que les peuples n’aient repris leur équilibre.

Heureusement les Anglais connaissent le danger et mettent tout en œuvre pour le conjurer. C’est pour assurer à leur patrie de nouveaux marchés producteurs qu’ils travaillent avec une activité fébrile à la construction des chemins de fer de l’Hindoustan, que la Pleiad a remonté le Niger et la Tchadda, que Livingstone pénètre dans l’intérieur de l’Afrique. Il faut qu’une moitié de l’univers, les rayas de l’Inde, les colons de Queensland, les nègres encore barbares du Zambèze et du Shirwa, les sujets du roi de Dahomey, les fellahs d’Égypte, les Siciliens et les Napolitains, qui viennent à peine de secouer le joug, il faut que tous cultivent le précieux cotonnier ; sinon l’Angleterre est à la merci d’une insurrection d’esclaves, elle est chaque jour à la veille de sa ruine. Si les Anglais, avec leur indomptable énergie et leur merveilleux esprit de suite, atteignent le but qu’ils se proposent, s’ils réussissent à créer aux quatre coins du monde des marchés producteurs de coton, s’ils parviennent surtout à remplacer avantageusement le coton par quelques-unes de ces fibres textiles que produisent les Indes, alors ils suspendront à leur tour sur la tête des planteurs une menace de ruine et de désolation. Or, si les propriétaires d’esclaves en arrivent à ne plus vendre leurs produits, « si la-valeur du travail servile se réduit à néant, l’émancipation devient inévitable. » C’est un gouverneur de la Caroline du sud, M. Adams, qui s’exprime ainsi.

On a vu que toute insurrection spontanée de la part des esclaves est très improbable ; mais si quelque étincelle partie du Kansas devait allumer une guerre de frontières, les dangers des planteurs augmenteraient journellement. Les esclaves fugitifs, aujourd’hui