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prospérité future ? Qui sait même si les magnifiques pays que l’ambition du flibustier Walker avait baptisés du nom d'empire indien ne formeront pas quelque jour une vaste république de nègres ?

Si les gouvernemens des états du sud étaient sages, ils tâcheraient de conjurer les dangers de l’avenir par une émancipation graduelle des esclaves. Ils devraient d’abord proclamer la liberté de tous les négrillons nés ou à naître sur leurs plantations, puis les faire soigneusement instruire dans les écoles publiques professionnelles, et les rendre maîtres absolus de leurs actions à l’âge de vingt ans. Tel est, moins l’instruction gratuite et obligatoire, le moyen qu’ont adopté la plupart des états du nord et diverses républiques de l’Amérique espagnole, afin d’obtenir l’extinction graduelle de l’esclavage ; telle était aussi la loi que la législature de la Virginie fut sur le point de voter dans les sessions de 1831 et de 1832, et qu’elle rejeta par haine des partis abolitionistes qui commençaient à agiter l’empire. On devrait aussi permettre aux esclaves de se louer eux-mêmes et de se racheter graduellement en accumulant leurs petites épargnes, accorder au fils libre, ainsi que le stipulait dans les colonies françaises la loi connue sous le nom de loi Mackau, le privilège de libérer par son travail son père, sa mère, ou les autres membres de sa famille. Surtout il faudrait relever les nègres à leurs propres yeux en offrant la liberté en prime à tous les esclaves qui se distingueraient par leur amour du travail, leur intelligence, leurs nobles actions : en prévision de la liberté, on formerait ainsi une génération qui en serait digne. Ces mêmes planteurs qui ont pu décider le gouvernement fédéral à faire offrir plusieurs fois la somme de 200 millions de dollars, plus d’un milliard de francs, pour l’achat de l’île de Cuba, c’est-à-dire pour l’annexion d’un million d’esclaves et l’aggravation des dangers qui les menacent, pourraient bien consacrer cette même somme à la transformation d’un peuple d’esclaves en un peuple d’hommes libres. En ayant recours à l’expédient de l’émancipation graduelle, les planteurs éviteraient une effroyable guerre de races, sans avoir à craindre de se réduire eux-mêmes à la mendicité. Pendant toute la durée d’une génération, ils auraient le temps de se préparer à l’avènement de la liberté, ils s’accoutumeraient à voir à côté d’eux une foule toujours grossissante de nègres libres ; ils se débarrasseraient peu à peu de leurs préjugés et de leurs haines, et devant le monde se libéreraient du crime qui pèse maintenant sur eux et les signale à la répulsion de tous.

Certains abolitionistes espèrent que les évasions de nègres finiront par diminuer sensiblement le nombre des esclaves, et forceront peu à peu les maîtres à abandonner par lassitude leurs titres