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les mêmes fêtes en l’honneur d’une liberté qui n’existe que pour les blancs. La constitution elle-même s’en va à la dérive, emportée, comme une barque rompue, par un flot de lois et de décrets rendus en l’honneur de l’esclavage. Puisque les hommes du nord n’ont cessé d’imaginer des compromis avec les oppresseurs de la race noire, ils sont devenus complices et solidaires de leurs actes ; ils n’ont pas même, comme Pilate, le droit de se laver les mains et de se proclamer innocens du sang injustement répandu. Le mal est très envahissant de sa nature : si les états du nord ne séparent pas nettement leur cause de celle des esclavagistes, leur liberté sera attaquée de la gangrène, et la parole de M. Mac Duffie deviendra complètement vraie : « L’esclavage est la pierre angulaire de notre édifice républicain ! » Ces institutions du sud, où les habitudes de la liberté se mélangent d’une manière intime avec les horreurs de l’esclavage, exercent une influence tellement délétère que, même à Libéria, cette république de nègres modelée sur le type de la république américaine, la servitude a été rétablie avec tout son cortège de crimes. L’esclavage domestique y existe ainsi qu’aux États-Unis, les indigènes y sont achetés, vendus, battus et méprisés par leurs nouveaux maîtres, comme le sont les nègres d’Amérique par leurs maîtres blancs[1]. « Les nouveau-venus sont étonnés, dit un missionnaire noir de Libéria, en voyant les riches et les pauvres de la république fouetter impunément leurs serviteurs ; mais on s’y habitue facilement, et l’on voit dans cet usage du fouet non plus une injustice, mais un mal nécessaire. »

On voit que les esclavagistes occupent une position très forte, puisqu’ils s’appuient sur la propriété et sur la société elle-même ; mais leur plus solide alliée est la religion. Affirmant, avec la plupart des sectes chrétiennes, que le texte de la Bible est littéralement inspiré par Dieu même, ils disent accepter les paroles de ce livre comme la règle de leur conduite. En effet, les textes bibliques ne leur manquent point pour justifier l’esclavage. Ils racontent avec onction l’histoire de la malédiction de Cham ; ils prouvent que, dans le Décalogue même, la possession d’un homme par un autre homme est formellement reconnue ; ils établissent sans peine que maintes et maintes fois les législateurs et les prophètes, se disant inspirés de Dieu, ont voué à l’esclavage ou à la mort les Jébusiens, les Édomites, les Philistins et autres peuplades qui guerroyaient contre les Hébreux. Ils affirment aussi, en s’appuyant sur les textes, que l’Évangile sanctionne implicitement la servitude, et ils citent l’exemple de saint Paul renvoyant à son maître un esclave fugitif. Forts

  1. Voyez Dahomey and the Dahomans, by Frederick E, Forbes, London 1851.