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apparaît, pâle, affaiblie, de nouveau renversée[1]. C’est le monde de l’illusion. Si vous aimez les songes, si, rêvant éveillé, vous vous plaisez à suivre la mobile improvisation et le jeu des nuages, allez au nord : tout cela se retrouve réel, et non moins fugitif, dans la flotte des glaces mouvantes. Sur le chemin, elles donnent ce spectacle. Elles singent toutes les architectures. Voici du grec classique, des portiques et des colonnades. Des obélisques égyptiens apparaissent, des aiguilles qui pointent au ciel, appuyées d’aiguillés tombées. Puis voici des montagnes, Ossa sur Pélion, la cité des géans, qui, régularisée, vous donne des murs cyclopéens, des tables et dolmens druidiques. Dessous s’enfoncent des grottes sombres. Tout cela caduc ; tout, aux frissons du vent, ondule et croule. On n’y prend pas plaisir, parce que rien ne s’assoit ; A chaque instant, dans ce monde à l’envers, la loi de pesanteur n’est rien : le faible, le léger portent le fort ; c’est, ce semble, un art insensé, un gigantesque jeu d’enfant qui menace et peut écraser.

Il arrive parfois un incident terrible. À travers la grande flotte qui lentement descend du nord, vient brusquement du sud un géant à base profonde, qui, enfonçant de six, de sept cents pieds sous la mer, est violemment poussé par les courans d’en bas. Il écarte ou renverse tout ; il aborde, il arrive à la plaine de glaces, mais il n’est pas embarrassé. « La banquise, disait, en 1826, le navigateur Duncan, fut brisée en une minute sur un espace de plusieurs, milles. Elle craqua, tonna, comme cent pièces de canon ; ce fut comme un tremblement de terre. La montagne courut près de nous ; tout fut comblé, entre elle et nous, de blocs brisés. Nous périssions ; mais elle passa, rapidement emportée au-nord-est. »

C’est en 1818, après la guerre européenne, qu’on reprit cette guerre contre la nature, la recherche du grand passage. Elle s’ouvrit par un grave et singulier événement. Le brave capitaine John Ross, envoyé avec deux vaisseaux dans la baie de Baffin, fut dupe des fantasmagories de ce monde des songes. Il vit distinctement une terre qui n’existait pas, soutint qu’on ne pouvait passer. Au retour on l’accable, on lui dit qu’il n’a pas osé ; on lui refuse même de prendre sa revanche et de rétablir son honneur. Un marchand de liqueurs de Londres se piqua de faire plus que l’empire britannique ; il lui donna cinq cent mille francs, et Ross retourna, déterminé à passer ou à mourir : ni l’un ni l’autre ne lui fut accordé ; mais il resta, je ne sais combien d’hivers ; ignoré, oublié, dans les solitudes. Il ne fut ramené que par des baleiniers, qui, trouvant ce sauvage,

  1. ) Voyez d’excellens travaux de M. Laugel dans la Revue, 15 septembre 1855 et 15 février 1856.