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l’audace de l’homme et le lançait dans un autre voyage, sur le libre océan des sciences, dans l’effort (téméraire, fécond) de faire le tour de l’infini !


III. — DECOUVERTE DES MERS POLAIRES.

Le plus tentant pour l’homme, c’est l’inutile et l’impossible. De toutes les entreprises maritimes, celle où il a mis le plus de persévérance, c’est la découverte d’un passage au nord de l’Amérique pour aller tout droit d’Europe en Asie. Le plus simple bon sens eût fait juger d’avance que, si ce passage existait, dans une latitude si froide, dans la zone hérissée des glaces, il ne servirait point, que personne n’y voudrait passer.

Notez que cette région n’a point la platitude des côtes sibériques, où l’on glisse en traîneau ; c’est une montagne de mille lieues, horriblement accidentée, avec de profondes coupures, des mers qui dégèlent un moment pour regeler, des corridors de glaces qui changent tous les ans, s’ouvrent et se referment sur vous. Il a été trouvé, ce passage, par un homme qui, engagé très loin et ne pouvant plus reculer, s’est jeté en avant et a passé[1]. On sait maintenant ce que c’est. Voilà les imaginations calmées, et personne n’en a plus envie.

Quand j’ai dit l’inutile, je l’ai dit pour le but qu’on s’était proposé d’atteindre, une voie commerciale ; mais, en suivant cette folie, on a trouvé maintes choses nullement folles, très-utiles pour la science, pour la géographie, la météorologie, l’étude du magnétisme de la terre.

Que voulait-on dès l’origine ? S’ouvrir un court chemin au pays de l’or, aux Indes orientales. L’Angleterre et d’autres états, jaloux de l’Espagne et du Portugal, comptaient les surprendre par là au cœur de leur lointain empire, au sanctuaire de la richesse. Au temps d’Elisabeth, des chercheurs, ayant trouvé ou cru trouver quelques parcelles d’or au Groenland, exploitèrent la vieille légende du nord, le trésor caché sous le pôle, les masses d’or gardées par les gnomes, et les têtes se prirent. Sur un espoir si raisonnable, une grande flotte de seize vaisseaux fut envoyée, emmenant comme volontaires les fils des plus nobles familles. On se disputa à qui partirait pour cet Eldorado polaire. Ce qu’on trouva, ce fut la mort, la faim, des murs de glaces. Cet échec n’y fit rien. Pendant plus de trois siècles, avec une persévérance étonnante, les

  1. . En 1853. Voyez la Revue du 15 novembre de la même année.