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navigations lointaines, fuites et procès, naufrages, assassinat manqué, enfin la mort chez les barbares. Il se bat en Afrique, il se bat dans les Indes ; il se marie chez les Malais, si braves et si féroces. Lui-même semble avoir été tel. Dans son long séjour en Asie, il recueille toutes les lumières, prépare sa grande expédition, sa tentative d’aller par l’Amérique aux îles mêmes des épices, aux Moluques. Les prenant à la source, on était sûr de les avoir à meilleur prix qu’en les tirant de l’occident de l’Inde. L’entreprise, dans son idée originaire, fut ainsi toute commerciale. Un rabais sur le poivre fut l’inspiration primitive du voyage le plus héroïque qu’on ait fait sur cette planète.

L’esprit de cour, l’intrigue, dominaient tout alors en Portugal. Magellan, maltraité, passa en Espagne, et magnifiquement Charles-Quint lui donna cinq vaisseaux ; mais il n’osa se fier tout à fait au transfuge portugais, il lui imposa un associé castillan. Magellan partit entre deux dangers, la malveillance castillane et la vengeance portugaise, qui le cherchait pour l’assassiner. Il eut bientôt une révolte sur sa flotte, et déploya un terrible héroïsme, indomptable et barbare. Il mit aux fers l’associé, se fit seul chef. Il fit poignarder, égorger, écorcher les récalcitrans. À travers tout cela, naufrage, et des vaisseaux perdus ! Personne ne voulait plus le suivre, quand on vit l’effrayant aspect de la pointe de l’Amérique, la désolée Terre de Feu et le funèbre cap Forward. Cette contrée arrachée du continent par de violentes convulsions, par la furieuse ébullition de mille volcans, semble une tourmente de granit. Boursouflée, crevassée par un refroidissement subit, elle fait horreur. Ce sont des pics aigus, des clochers excentriques, d’affreuses et noires mamelles, des dents atroces à trois pointes, et toute cette masse de lave, de basalte, de fontes de feu, est coiffée de neige lugubre.

Tous en avaient assez. Il dit : « Plus loin ! » Il chercha, il tourna, il se démêla de cent îles, entra dans une mer sans bornes, ce jour-là pacifique, et qui en a gardé le nom. Il périt dans les Philippines, quatre vaisseaux périrent : le seul qui resta, la Victoire, à la fin n’eut plus que treize hommes ; mais il avait son grand pilote, l’intrépide et l’indestructible, le Basque Sébastien, qui revint seul ainsi (1521), ayant le premier des mortels fait le tour du monde.

Rien de plus grand. Le globe était sûr désormais de sa sphéricité. Cette merveille physique de l’eau uniformément étendue sur une boule où elle adhère sans s’écarter, ce miracle était démontré ; le Pacifique enfin était connu, le grand et mystérieux laboratoire où, loin de nos yeux, la nature travaille profondément la vie, nous élabore des mondes, des continens nouveaux !… Révélation d’immense portée, non matérielle seulement, mais morale, qui centuplait