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REVUE. — CHRONIQUE.

tique, social et religieux, pour la faire entrer dans le mouvement de la civilisation moderne, tandis que les républiques hispano-portugaises, reliées à l’Europe civilisée par l’origine, les mœurs, les tendances d’esprit, n’ont qu’à se replier sur elles-mêmes et à se réconcilier avec les idées de repos et de tranquillité pour devenir prospères et florissantes.

Telle est l’impression que laisse la lecture de l’excursion de M. Holinski dans la république de l’Equateur. Ce n’est pas toutefois qu’il se soit proposé de tirer de ce qu’il a vu des enseignemens ni des conclusions politiques ; il n’a voulu peindre que des scènes de la vie sud-américaine, et si, devant les révolutions dont il est impossible de ne pas se trouver spectateur dès qu’on y met le pied, M. Holinski exprime des opinions et des jugemens, ce n’est point son but : il raconte plus qu’il ne discute. Je l’en félicite, j’avoue même que quelques-unes de ses appréciations m’auraient fait craindre qu’il ne voulût aborder trop sérieusement les questions politiques. Son indulgence pour certaines doctrines un peu trop aventureuses, son parti-pris contre quelques idées anciennes, qui méritent pour le moins des ménagemens, et par exemple un goût un peu trop prononcé pour Voltaire, voilà des indices qui m’eussent inquiété, si M. Holinski eût entrepris de faire une histoire de la république de l’Equateur ; mais, nous le répétons, il s’en est tenu à raconter en voyageur plutôt qu’en politique les pronunciamientos auxquels il a assisté, et ce sont les mœurs plus encore que les idées qu’il a voulu peindre. C’est donc là ce qu’il faut chercher dans le récit de son voyage de Guayaquil à Quito, ainsi que de son séjour dans ces deux villes, et le lecteur le suivra volontiers dans ses descriptions, semées de détails quelquefois un peu libres, mais généralement rapides et sans prétentions.

M. Holinski se trouvait à Guayaquil au mois de juillet 1851, lorsque s’accomplit le pronunciamiento qui porta le général Urbina au pouvoir, à la place du général Neboa, et il a raconté en témoin oculaire cette péripétie, qui pourra nous donner une idée de la manière dont s’accomplissent les événemens de ce genre, si profondément entrés dans les habitudes des états de l’Amérique méridionale, le président Diego de Neboa avait pris la résolution de se rendre de Quito à Guayaquil. Pourquoi ce voyage ? « À cette question, dit M. Holinski, les uns répondaient qu’il allait chercher ses enfans, afin de les ramener lui-même dans la capitale. D’autres, mieux renseignés, racontaient qu’il se rendait aux instances réitérées du général Urbina, commandant militaire de Guayaquil. » Ce chef, comme l’indique M. Holinski, et comme on peut le voir également dans l’Annuaire des Deux Mondes de 1851-52, avait lui-même engagé le président à venir, par sa présence, calmer les esprits mécontens des symptômes d’hostilités qui menaçaient d’éclater entre la république de l’Equateur et celle de la Nouvelle-Grenade. Neboa se rendait donc à Guayaquil, sur les sollicitations amicales du gouverneur Urbina, qui avait ordonné de brillantes fêtes. « À défaut de palais spécial, ajoute M. Holinski, on avait décoré la plus belle maison de la ville. Des arcs de triomphe en bois peint avaient été dressés tout le long de la route que devait suivre le magistrat suprême, et un bal public était destiné à compléter les réjouissances qui se préparaient. Le 17 juillet, le président devait faire son entrée à Guayaquil. Il avait laissé à Bodegas ses maies et ses chevaux, et, descendant la rivière de Guayaquil en chaloupe,