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quelques autres artistes injustement dédaignés par nos pères, le zèle des recherches était légitime et le mouvement de retour opportun ; mais on est allé en ce sens si fort au-delà du nécessaire, on a recueilli tant de pièces relatives à la vie des moindres peintres de dessus de portes ou d’éventails, que l’histoire de cette époque s’en trouve aujourd’hui comme encombrée. Pour y rétablir un peu d’ordre, il faudrait commencer par perdre soigneusement le souvenir d’une bonne moitié de ce que nous en avons appris. Peut-être, en ce qui regarde le XVIIIe siècle, l’abus tire-t-il de lui-même à sa fin ; peut-être tout ce qu’on nous a dit, tout ce qu’on nous a montré, tout ce qu’on a écrit sur ce chapitre, aura-t-il pour résultat prochain une juste satiété. Malheureusement les choses ne paraissent pas ailleurs aussi avancées. On dirait au contraire que la méthode renouvelée des écrivains allemands réussit à se faire accepter parmi nous comme un progrès, bien qu’elle ne tende en réalité qu’à discréditer le sentiment de l’art au profit d’une science oiseuse. Puisse cette triste mode passer vite et sans retour ! Puissions-nous comprendre, une fois pour toutes, que la différence est grande et la part d’utilité fort inégale entre une certaine archéologie, qui ne fait que poser les questions, et la critique, qui sait les résoudre ! À celle-ci le droit et le pouvoir de parler un langage définitif, parce qu’elle s’exprime au nom des principes, de nous animer à l’amour du beau, de solliciter ou de confirmer notre foi ; à celle-là l’office de réunir les élémens de conviction accessoires, et d’ajouter aux preuves morales les témoignages tirés de la succession matérielle des choses. En se maintenant dans cette sphère d’action légitime, l’archéologie pourra servir à sa manière la cause défendue ailleurs avec plus d’autorité encore et d’à-propos. En prétendant, comme elle semble en avoir l’ambition aujourd’hui, usurper une autre importance et s’élever à d’autres fonctions, elle ne réussira qu’à rencontrer aussi bien un froid accueil pour ses travaux que l’indifférence pour l’art lui-même. Quelle fantaisie nous prend, au surplus, d’emprunter à l’étranger des exemples, quand nous pouvons trouver si facilement auprès de nous de meilleurs modèles et de plus sûres leçons ? On sait avec quelle supériorité la critique d’art a été traitée en France depuis trente ans, et quels démentis certains talens bien inspirés donnent encore à cette méthode d’appréciation étroite, à cette littérature de procès-verbal. Ce sont là les maîtres qu’il faut suivre, c’est dans le sens de leurs virils efforts qu’il convient à la critique d’agir et de marcher, au lieu de s’arrêter gravement à des puérilités, au lieu d’étouffer l’émotion sous le système, et d’arriver, pour toute conquête, à la possession de ce singulier privilège de nous imposer une fatigue en parlant de ce qui doit nous charmer.


HENRI DELABORDE.