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plus vieilles de quelques mois ou de quelques années ? Les vérités reconnues sur ce point et proclamées par la science contemporaine peuvent n’être après tout que des vérités passagères, des axiomes provisoires à la merci d’un accident imprévu, d’une découverte nouvelle, et si tout se résume dans une question de millésime, on a bien le droit d’attendre en paix que la chronologie ait dit là-dessus son dernier mot et livré son dernier secret.

Les secrets de l’art n’ont pas de ces atermoiemens et ne nous commandent pas cette prudence. Ils se révèlent tout d’abord et avec une autorité sans équivoque dans des œuvres à l’abri des reviremens de la science, des défiances de la critique historique, de toutes les modifications que l’archéologie peut faire subir à la tradition ou des faits nouveaux qu’elle peut y ajouter. On aura beau produire des documens inédits, exhumer des pièces et démontrer, preuves en main, que la gravure est d’un usage plus ancien en Europe qu’on ne l’avait cru jusqu’ici : on n’en aura pour cela ni reculé les vraies origines, ni déplacé les premiers titres d’honneur. Aussi est-il permis de s’émouvoir médiocrement de ces découvertes dont on cherche à faire bruit, de ces essais de réforme iconologique pour lesquels les hommes du métier se mettent si fort en frais de zèle et d’érudition. Tant qu’on n’aura rien de mieux à nous montrer que ce qu’on nous montre, tant qu’on n’aura pas retrouvé, — et ce succès est impossible, — parmi les estampes antérieures à la seconde moitié du XVe siècle, l’équivalent en mérite des pièces gravées quelques années plus tard, — Finiguerra et les siens en Italie, le maître de 1466 et Martin Schöngauer en Allemagne, garderont à bon droit la renommée qu’on leur a faite et le rôle qu’on leur attribue. À eux seuls appartient en réalité l’initiative ; d’eux seuls procèdent, dans l’histoire de la gravure, tous les progrès, tous les talens. Avant l’époque où ils parurent, il a pu se rencontrer des ouvriers plus ou moins industrieux pour forger en quelque sorte les instrumens de travail et pour en essayer l’usage. C’est vers 1450, à Florence, et un peu plus tard, sur les bords du Rhin, que ces outils sont pour la première fois maniés par des artistes, et qu’une rivalité s’établit entre les deux écoles, non plus pour tirer à soi l’honneur stérile de l’invention, mais pour en développer à l’envi les ressources et en consacrer les résultats.

Le premier en date entre ces chefs d’école et le premier aussi par les caractères du talent, Finiguerra, n’a de commun avec les tristes précurseurs qu’on lui oppose que l’idée de transporter sur le papier les travaux creusés par le burin. Encore, même à ne tenir compte que des conditions matérielles, l’opération tentée par l’orfèvre florentin exigeait-elle une habileté particulière et des moyens d’exécution plus sûrs que les procédés employés déjà en dehors de l’Italie.