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plein de poésie et d’éclat. Mais ils ont beau dire, lui et Hegel, que leur système n’est pas celui de Spinoza, qu’il a manqué à Spinoza l’idée de l’absolu en travail pour arriver à la conscience de lui-même : le fond reste identique, et je nie que même avec cette addition le panthéisme ait beaucoup gagné à passer de Spinoza à Schelling et de Schelling à Hegel. Ceci m’amène à dire au moins un mot sur le fond des choses.


V.

Évidemment ce n’est pas en quelques lignes qu’on peut juger un système qui a occupé la vie d’un esprit très étendu et très vigoureux. Je veux expliquer seulement sous quel jour nouveau se montre la philosophie allemande, aujourd’hui qu’elle est sortie de ses voiles et que la lumière s’est faite.

Le système de Hegel se présente au premier abord comme aussi éloigné que possible du sensualisme. L’Allemagne le prend de très haut avec les sens et les faits de l’expérience. C’est par la seule spéculation a priori qu’elle prétend construire le système des choses. La foi dans les idées y est poussée jusqu’au paradoxe. Ainsi Hegel vous dira non-seulement qu’il y a dans tout être réel une idée, mais que l’idée, quoique invisible, est plus réelle que l’être même que vous voyez et touchez. Un individu, pour Hegel, n’est pas quelque chose de vraiment réel ; séparé de son idée, conçu comme pur individu, il n’est plus qu’une abstraction.

Est-ce là un jeu d’esprit ? Je ne le crois pas. S’il en est ainsi, qu’y aura-t-il de plus réel et de plus sacré pour Hegel que l’idée de Dieu ? Aussi Hegel paraît-il profondément convaincu de l’existence de la Divinité. Ce principe qu’il appelle l’Idée et qui apparaît sans cesse à toutes les mailles du réseau inextricable de sa déduction, ce personnage mystérieux qui est pour ainsi dire l’acteur unique et tout-puissant du drame, Hegel se plaît à le nommer l’Esprit universel. Il reproche à Spinoza d’avoir fait de son Dieu une sorte de matière, au lieu de le concevoir comme sujet, comme esprit vivant ; — il l’accuse de s’être inscrit en faux contre les causes finales, ce qui lui a ôté le sens de la nature et celui de l’histoire, d’avoir nié la liberté en réduisant tout au mécanisme, enfin de n’avoir compris que d’une façon très incomplète la portée profonde des dogmes chrétiens. Hegel est-il sincère en parlant ainsi ? Je le crois fermement.

Et cependant essayons d’aller au fond de sa pensée, à ce fond reculé, qui souvent reste obscur aux yeux mêmes du penseur de génie, et ne se révèle qu’avec le temps à ses disciples ou mieux