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cela qu’ils doivent se concilier dans le devenir. Le concept du devenir est un concept tiré de l’expérience. Il suppose le changement. le temps, la succession, le nombre, ou tout au moins la possibilité de tout cela. Or le conflit de ces deux pures abstractions, l’être et le néant, est un conflit stérile, incapable de rien engendrer de concret, de réel et de vivant.

Ce ne sont là que quelques-unes des difficultés que soulève la déduction de Hegel. M. Trendelonburg en Allemagne et tout récemment en France M. Paul Janet, dans un livre d’une vigoureuse et fine dialectique, les ont mises dans le plus grand jour. M. Janet fait voir avec une sagacité supérieure que si la logique de Hegel se réduit à montrer en toute chose des oppositions et à essayer de les concilier, elle n’est qu’une imitation de la dialectique platonicienne. Ce n’est pas Hegel qui le premier a été frappé de l’opposition de l’être et du néant, de l’unité et de la pluralité. Platon, dans deux de ses plus profonds dialogues, a développé cette opposition. Le Parménide est destiné à prouver que l’unité et la pluralité sont inséparables, quoique opposées. Le but du Sophiste, c’est d’établir que l’être et le non-être ne sont pas absolument inconciliables[1]. Qu’a fait Hegel ? Il a exagéré la pensée de Platon. Au lieu de résoudre les oppositions, il a transformé de simples oppositions en contradictions absolues, et par là il s’est retranché tout moyen de les concilier.

Point de milieu : il faut maintenir le principe de l’identité des contradictoires, et alors on vous défie de faire un pas, ou reconnaître que ce qu’on appelle contradiction n’est qu’une simple opposition, et alors adieu la logique nouvelle, adieu le rhythme de l’idée, adieu la méthode absolue, adieu l’originalité de Hegel ! — Le système de Hegel n’est plus qu’une forme nouvelle donnée à l’idée de Schelling. Or les historiens de la philosophie vont arriver à leur tour, et ils ne manqueront pas de vous montrer que l’idée même de Schelling n’est pas une idée vraiment originale. Ce qui trompe ici, ce sont les mots, les formules, qui ne devraient être que les servantes dociles des idées et qui en sont les ennemies mortelles. L’identité absolue, le sujet-objet, l’indifférence du différent, tous ces grands mots dont Pascal disait : Je liais les mots d’enflure, tout cela fait illusion. — Eh bien ! tout cela, c’est le vieux panthéisme. M. Schelling est plus original que Hegel ; mais il n’est pas vraiment original. Il n’est qu’un kantien devenu spinoziste. Ajoutez que ce kantien est un homme de la plus belle imagination, versé dans toutes les connaissances humaines, et semant les aperçus à pleines mains dans un langage

  1. Voyez le remarquable ouvrage intitulé la Dialectique dans Platon et dans Hegel, par M. Paul Janet, 1 vol, in-8o, chez Ladrange.