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chaque espèce est un effort qu’elle fait pour atteindre une fin qui est le point de départ d’un effort nouveau vers une fin plus haute, jusqu’à ce qu’on arrive à la fin dernière, qui n’est autre que Dieu, l’homme est au milieu de cette échelle infinie; toute la nature aspire vers lui, et lui, c’est à Dieu qu’il doit aspirer. Et voilà comment Aristote a été conduit à prendre l’organisation de l’homme comme un type en y rapportant tous les organes des êtres inférieurs. C’est là une vue de génie, j’en atteste l’admiration reconnaissante de Cuvier, et il faut y voir le germe de cette physiologie comparée qui est l’honneur de notre temps; mais quiconque isole cette idée de l’ensemble des vues d’Aristote, j’ose dire qu’il n’en comprend pas toute la portée et toute la grandeur.

Est-ce aussi un procédé vraiment philosophique de couper Descartes en deux, de mettre d’un côté le métaphysicien, de l’autre le géomètre, afin d’exalter celui-ci aux dépens de celui-là? Descartes est un, et ses idées de physicien, de physiologiste, de géomètre, forment un tout indivisible. Croyez-vous travailler à la gloire du père de la philosophie moderne et expliquer l’influence prodigieuse qu’il a exercée sur les progrès de l’esprit humain en le réduisant à n’être, comme tel de nos savans, qu’une spécialité? Si Descartes a fait une révolution en physique et en physiologie, c’est parce qu’il avait fait une révolution en métaphysique. C’est le métaphysicien dans Descartes qui ramenait, par une analyse profonde, la notion de la matière à l’étendue et au mouvement, et de là une physique nouvelle qui a pu contracter avec les mathématiques une alliance féconde, susciter Newton et aboutir au véritable système de l’univers. Qu’est-ce au fond que la grande découverte mathématique de Descartes, selon les juges autorisés? C’est un moyen de transformer et de simplifier toute une série de problèmes en ramenant les grandeurs géométriques à des grandeurs d’une forme plus générale et plus simple. N’est-ce point là une vue de métaphysicien creusant jusqu’au fond les notions premières pour en atteindre les élémens et s’élever ainsi au plus haut degré d’abstraction et de généralité?

Je demande maintenant si ce n’est pas défigurer Leibnitz et le briser puérilement en mille morceaux que de vouloir séparer ses découvertes en tout genre de sa métaphysique, qui en fait l’unité. Il est clair d’abord que toutes ses idées de physicien sont fondées sur deux bases métaphysiques, la notion de force et le principe de la moindre action. En physiologie, sa théorie de la préformation organique est évidemment liée à ses vues générales sur le développement continu des êtres. C’est au nom de la loi de continuité qu’il a prophétisé l’existence d’êtres intermédiaires entre le règne animal et le règne végétal, qu’il appelait fort bien des plantes-animaux, et