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la naissance, qu’une transformation. En réalité, point de mort, mais « un progrès perpétuel et spontané du monde tout entier vers ce comble de beauté et de perfection universelles dont les œuvres de Dieu sont capables, de sorte que le monde marche à une condition toujours meilleure[1]. »

Dans ce progrès perpétuel et indéfini des êtres, il en est un qui est capable de connaître tous les autres, d’embrasser le plan de l’univers et de concourir aux desseins du Créateur. Un tel être non-seulement ne saurait perdre sa substance, mais il ne peut pas perdre ce qu’il y a en elle de plus divin, la personnalité morale. Écoutons Leibnitz s’expliquant sur ce grand sujet dans une page inédite, la plus belle que ces derniers temps aient eu la fortune de découvrir :

« Pour faire juger par des raisons naturelles que Dieu conservera toujours non-seulement notre substance, mais encore notre personne,... il faut joindre la morale à la métaphysique, c’est-à-dire ne pas seulement considérer Dieu comme le principe et la cause de toutes les substances et de tous les êtres, mais encore comme chef de toutes les personnes intelligentes et comme le monarque de la plus parfaite cité ou république, telle qu’est celle de l’univers, composée de tous les esprits ensemble... Et comme Dieu lui-même est le plus grand et le plus sage des esprits, il est aisé de juger que les êtres avec lesquels il peut, pour ainsi dire, entrer en conversation et même en société, en leur communiquant ses sentimens et ses volontés d’une manière particulière et en telle sorte qu’ils puissent connaître et aimer leur bienfaiteur, le doivent toucher infiniment plus que le reste des choses... Les seuls esprits sont faits à son image et quasi de sa race, ou comme enfans de la maison, puisqu’eux seuls le peuvent servir librement et agir avec connaissance à l’imitation de la nature divine. Un seul esprit vaut tout un monde, puisqu’il ne l’exprime pas seulement, mais le connaît aussi et s’y gouverne à la façon de Dieu. Tellement qu’il semble, quoique toute substance exprime l’univers, que néanmoins les autres substances expriment plutôt le monde que Dieu, mais que les esprits expriment plutôt Dieu que le monde... Et si le premier principe de l’existence du monde physique est le décret de lui donner le plus de perfection qu’il se peut, le premier dessein du monde moral ou de la cité de Dieu, qui est la plus noble partie de l’univers, doit être d’y répandre le plus de félicité qu’il sera possible,... car la félicité est aux personnes ce que la perfection est aux êtres. Il ne faut donc point douter que Dieu n’ait ordonné tout, en sorte que les esprits

  1. Fragment publié par M. Erdmann, p. 150.