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l’univers comme renfermant en elle, dès l’origine, toute la suite de ses développemens? Admettez maintenant que ces forces soient en harmonie par leur constitution naturelle, et alors tout se passera comme si elles agissaient véritablement les unes sur les autres, bien que chacune n’agisse que sur soi.

Voilà le merveilleux spectacle que nous présente l’univers. C’est un nombre infini de forces, d’unités vivantes, identiques dans l’essence, différentes par le degré du développement. Ces degrés divers les classent en familles, en genres et en espèces qui s’élèvent, par une gradation continue, de la nature brute, où la vie sommeille, jusqu’aux splendeurs de la nature spirituelle, et il faut y comprendre, avec les minéraux, les plantes, les animaux et les hommes, tous les êtres grossiers ou sublimes qui comblent les intervalles, peuplent d’autres mondes et complètent l’ensemble infini de l’univers. Or chacun de ces êtres n’a besoin que de lui-même pour se développer à travers les siècles et tirer de son sein la suite entière de ses évolutions et transformations successives. Et cependant, comme tous ces êtres sont mêlés les uns avec les autres, comme il y a une certaine correspondance entre leurs développemens, il semble que tous ces êtres agissent l’un sur l’autre; il semble que la vie de l’univers soit une lutte. Non, c’est une harmonie. Chaque âme, sans sortir de soi, agit en parfait accord avec toutes les autres; elle est comme un petit monde en raccourci, elle représente l’univers selon son point de vue; elle est comme un miroir vivant où l’univers entier vient se réfléchir.

Et maintenant est-il possible à un philosophe, après avoir contemplé cet immense et harmonieux univers, de ne pas s’élever plus haut? Où trouver en effet la raison d’être, la raison suffisante de ce nombre infini de forces qui s’échelonnent dans un plan si régulier et concourent avec une si infaillible harmonie? Il la faut aller chercher dans un principe premier où la force et la substance, l’être et la vie, s’identifient au sein d’une perfection absolue, être des êtres, force des forces, unité des unités, idéal accompli de l’existence, « Dieu, dit Leibnitz, est l’unité primitive et la substance simple, originaire, dont toutes les monades créées sont des productions et naissent, pour ainsi dire, par des fulgurations continuelles de la Divinité. »

Cette unité suprême n’est pas la substance aveugle de Spinoza, produisant sans le savoir et sans le vouloir, par une nécessité mathématique, une infinité de modes qui se succèdent et se poussent comme des flots, sans tendre à aucun but, sans concourir à aucun plan : cause aveugle et fatale, produisant l’intelligence sans être intelligente et la liberté sans être libre; cause inférieure à ses effets.