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ne dure qu’un jour, et la nature est immortelle. Si telle forme n’est pas réalisée dans notre univers, elle l’est dans un des univers sans nombre qui nous enveloppent de leur immensité. Si elle n’existe plus aujourd’hui, elle existait dans un autre âge; elle s’est transformée pour reparaître un jour. Si elle n’est pas visible à nos sens, c’est peut-être qu’elle se cache dans l’abîme sans fond des êtres imperceptibles. Dans l’espace, dans le temps, dans la grandeur et dans la petitesse, dans toutes les formes et dans tous les degrés de l’existence, partout et toujours, la nature va à l’infini.

Combien Descartes et ses disciples s’étaient écartés de la vérité! Ils voyaient partout l’inertie, et partout éclate l’activité. Ils avaient séparé l’homme du reste de la création, et laissé entre l’esprit et la matière un immense hiatus. Ce vide n’existe pas; tous les êtres ont de l’analogie, et la nature est la sœur de l’humanité. — D’un autre côté, combien ceux qui contredisent Descartes tombent au-dessous de lui, quand ils ressuscitent le vieux système des atomes de Démocrite! Quelle étrange conception que cet univers de Newton, où un certain nombre de molécules nagent dans un vide infini qu’on réalise sous le nom d’espace! L’espace pur est une abstraction, c’est un ordre de coexistence, comme le temps est un ordre de succession. Point de vide, point d’intervalle entre les êtres, point de limites à leur nombre et à leur durée. Partout la force, partout la continuité, partout l’infini.

« Après avoir établi ces choses, dit Leibnitz, je croyais entrer dans le port; mais lorsque je me mis à méditer sur l’union de l’âme et du corps, je fus comme rejeté en pleine mer, car je ne trouvais aucun moyen d’expliquer comment le corps fait passer quelque chose dans l’âme, ni comment une substance peut communiquer avec une autre substance créée... » Voilà bien en effet la vraie difficulté dans toute sa généralité et dans toute sa profondeur. Faut-il désespérer de la résoudre? Leibnitz ne le croit pas, et c’est du fond même de la difficulté que sort pour lui la solution. Il se dit que l’action effective, réelle, d’une substance sur une autre substance est une chose inconcevable, par conséquent une chose naturellement impossible. Pour qu’une force put agir réellement sur une autre force, il faudrait un miracle. Or quoi de plus contraire à l’esprit de la science que de supposer des miracles, et quoi de plus absurde que des miracles perpétuels et universels? D’un autre côté, toute substance n’est-elle pas une force? toute force n’est-elle pas active de sa nature et continuellement en action? tous ses actes, tous ses états successifs ne forment-ils pas une suite continue, où chaque état présent a sa racine dans l’état antérieur, et ainsi de suite? Dès lors ne peut-on pas concevoir chacune des forces qui composent