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chant gars ? Est-ce que je ne sens pas l’odeur de bête fauve sur ma tête ?… Oh ! les loups, les loups ! Ouvre ta porte, et laisse-moi partir !… Tu ne me feras pas manger par tes bêtes, n’est-ce pas ?…

— Veux-tu que j’aille leur dire de se tenir tranquilles ? répondit en souriant le meneux de loups. Non ? Eh bien ! comme tu voudras, mon garçon. Puisqu’il y a des loups dans mon grenier, puisque tu les as entendus, il y va de ta vie si tu parles de ce qui vient de se passer. Tu sais bien que ces bêtes-là te dévoreront quelque jour, si la fantaisie te prend de tenir des propos sur leur compte.

— Je l’ai entendu dire bien des fois, dit Pierre Gringot, qui ramassait sa veste et tenait ses regards fixés sur l’échelle du grenier. Voyons, Mathurin, promets-moi que je guérirai !…

— Guéris-toi dès aujourd’hui, je ne demande pas mieux ; mais au moins garde-toi bien de jaser sur moi, hein !…

Là-dessus Mathurin Tue-Bique tira le verrou de la porte et l’ouvrit au garçon de charrue, qui s’en retourna plus vite encore qu’il n’était venu, bien persuadé qu’il y avait sept loups, ni plus ni moins, dans le grenier de Tue-Bique : c’est le nombre habituel. Quand il se fut éloigné, Mathurin monta dans son grenier. Ramassant ses furets, que le bruit de la lutte avait épouvantés et fait sortir de la boîte où il les tenait captifs : — Allons, petites bêtes, leur dit-il, retournez au gîte et dormez en paix. Si vous m’attirez la réputation d’un meneux de loups, au moins vous éloignez de moi les méchans, les imbéciles, les poltrons, et vous me faites quelquefois gagner en une nuit autant que bien d’autres pendant les six jours de la semaine.


IV. — LA MÈRE ET LA FILLE.

Deux hommes dans la force de l’âge ne peuvent se prendre aux cheveux sans se porter réciproquement des coups assez rudes. Le meneux de loups avait reçu de fortes bourrades dans les côtes ; mais il s’en consolait par la pensée que Pierre Gringot, dont il redoutait les rancunes, n’oserait plus de longtemps lui chercher querelle. Quant au garçon de charrue, il portait sur la joue un témoignage irrécusable de la vigueur de son ennemi. Il ne s’en plaignit point cependant, tant il se sentait heureux d’avoir obtenu la promesse de sa guérison. Aussi, lorsque ses compagnons de travail lui demandèrent pourquoi sa face était enflée : « Ce n’est rien que ça, les gars, répondit-il avec assurance, c’est la fièvre qui s’en va par là… » La fièvre le quitta en effet, grâce à la diète qu’il avait observée pendant quelques jours et aux potions qu’il s’était résigné à avaler, ce qui ne l’empêcha pas d’attribuer sa guérison à la for-