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lectricité, de la pile de Volta, du galvanisme, du magnétisme, de la fiole de Cagliostro…

— Je ne sais rien de tout ça, monsieur ; mais je vois que vous êtes bien savant, puisque vous m’avez montré celui qui m’a… ensorcelé.

— Pauvre jeune homme ! dit l’empirique.

— À présent que je l’ai vu, que faut-il faire ?

— Il faut me donner cinq francs, mon ami. Et puis, après avoir bu un verre de ce cordial, — ce qui fait cinquante centimes en sus, — vous irez trouver le gaillard qui vous a jeté un sort. Vous lui direz : Au nom du signor Molinardi, de Florence en Toscane, rends-moi la santé ; ou bien simplement : Au nom de celui qui est plus puissant que toi…

— Jamais je ne pourrai me rappeler la première phrase, dit Pierre Gringot ; j’aime mieux la seconde… Mais, s’il ne me rend pas la santé, monsieur, me rendrez-vous mon argent ?…

— Il vous délivrera du sort qui vous opprime, soyez-en sûr ; si vous doutez, mieux vaut n’y pas aller… Bien entendu que vous le contraindrez par la force, si besoin est… Avec deux bras et deux épaules comme les vôtres, mon ami, on n’a peur de personne… Allez, ayez confiance… Allez, vous dis-je, et laissez-nous déjeuner…

Le rideau se leva devant Pierre Gringot, qui reparut à la lumière du jour tout abasourdi des paroles du charlatan. Il n’y avait plus personne auprès de la cabane roulante, et le paysan, tout exalté par le cordial qu’il venait de boire, se dirigea droit vers la demeure de Mathurin Tue-Bique. Jeanne, qui achevait de s’habiller derrière sa fenêtre, entr’ouvrit furtivement le coin de son rideau, et regarda avec surprise le garçon de charrue, qui marchait d’un pas délibéré, le visage animé et le chapeau rabattu sur les yeux. Annette, qui demeurait en face de celle-ci, était sur le pas de la porte, pimpante, parée pour le dimanche, et toute prête à rire. — Eh bien ! Pierre, dit-elle au jeune paysan, vous voilà donc guéri ?

— Pas tout à fait, répondit-il, mais je le serai, bien sûr, avant ce soir.

— Vous êtes pourtant rouge comme une cerise, Pierre ; jamais je ne vous ai vu de plus belles couleurs !…

— Et vous, Annette, nous êtes, comme toujours, plus fraîche que la rose…

Ce propos galant fit épanouir d’aise la joyeuse figure d’Annette, qui laissa Pierre Gringot poursuivre son chemin. Celui-ci répétait, afin de s’en bien ressouvenir, la formule toute-puissante que lui avait apprise l’empirique. Il se sentait plein de courage et de confiance. Ses jambes avaient retrouvé, comme par miracle, toute leur