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LA
LANDE-AUX-JAGUELIERS
SCÈNES DU BAS-ANJOU.

I. — UNE MAUVAISE RENCONTRE.

Un dimanche soir, cinq minutes avant que l’horloge du clocher sonnât dix heures, l’hôtesse de l’auberge des Trois Maures, — la plus renommée du village de L…, dans l’arrondissement de Segré, — annonça aux buveurs qu’elle allait éteindre ses lumières et fermer sa porte. Ceux-ci, s’étant hâtés de vider jusqu’à la dernière goutte les bouteilles placées devant eux, se levèrent avec plus ou moins de difficulté, selon le nombre de verres qu’ils avaient absorbés. La maîtresse du logis saisit ce moment pour retirer les tabourets et les empiler dans un coin de la salle. En un clin d’œil, les bouteilles furent enlevées et les tables essuyées, si bien que les buveurs, délogés de leurs positions, durent prendre le chemin de la porte et quitter l’auberge avec la triste perspective de n’y pouvoir revenir avant le dimanche suivant. Il est vrai de dire que plusieurs d’entre eux avaient bu pour toute une semaine : mais de tous les paysans qui venaient de passer la soirée à l’enseigne des Trois Maures, aucun ne l’avait mieux employée que Pierre Gringot, premier garçon de charrue de la grande métairie des Hautes-Fougeraies. Aussi, les ténèbres du dehors l’ayant subitement enveloppé, le jeune laboureur ouvrit les yeux comme un hibou et les frotta du revers de sa main. Lui qui voyait double quelques minutes aupara-