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les nègres des plantations, appartenant en majorité aux sectes méthodiste et baptiste, assistent régulièrement aux services religieux du dimanche. En outre ils se réunissent parfois en assemblées particulières avec la permission de leurs maîtres, mais loin de leur œil gênant, et passent des heures à chanter des cantiques, à réciter des prières, à écouter les prédicateurs blancs, qui ne manquent jamais de leur répéter et de leur commenter sur tous les tons le précepte de la Bible : « Obéissez à vos maîtres en toutes choses ! » Les districts comparativement déserts sont visités par des missionnaires itinérans qui, d’après l’expression consacrée, viennent réveiller les nègres des plantations éparses. Leur arrivée, annoncée longtemps à l’avance, répand la joie dans les camps des plantations. Aussitôt les esclaves, heureux du repos qui leur est promis pendant deux ou trois jours et des joies tumultueuses auxquelles ils vont se livrer, se dirigent vers quelque clairière des forêts où ils construisent à la hâte des baraques en planches ou en branchages. La première journée est tout entière consacrée aux préparatifs de la fête ; puis la nuit se passe, employée par les uns en chants et en prières, par les autres en divertissements, en libations ou en débauches. Quand l’aurore se lève, déjà tous les nègres, ces êtres si merveilleusement sensibles aux impressions extérieures, sont énivrés de leur liberté d’un jour, un démon les a saisis, et, pleins d’une joie délirante, ils chantent, ils hurlent, ils bondissent çà et là comme des chevreuils. Bientôt le prédicateur monte sur les troncs d’arbres mal équarris qui lui servent de chaire, il jette quelques paroles à la foule en désordre, et voilà que tous, comme sous l’influence d’un charme, interrompent leurs danses et leurs cris, et viennent se rassembler en une masse compacte autour du ministre. En un instant le silence règne sur cette mer d’hommes, et les cérémonies religieuses commencent. Longtemps les yeux de tous restent invariablement fixés sur le blanc, qui du haut de son échafaudage prie d’une voix uniforme et chantante : l’assemblée tout entière halète d’un même souffle et n’a plus qu’une seule âme ; elle contient son enthousiasme, chacun refoule le hurlement qui lui monte aux lèvres. Enfin à une apostrophe véhémente du prédicateur l’auditoire ne peut plus se contenir : un cri part de la foule, immédiatement suivi par d’autres cris : une femme tombe dans les convulsions de l’extase, puis une autre, puis d’autres encore : on les voit s’abattre çà et là comme des arbres renversés par le vent. Alors tous donnent un libre cours à leur émotion longtemps contenue : pendant que les uns se précipitent autour des femmes convulsionnaires pour les emporter hors du camp, les autres confessent à haute voix leurs péchés, se jettent à genoux en pleurant, chantent les hymnes religieux, se livrent à des danses