Or on ne peut pas dire que le nègre ait une famille, puisque père, mère, enfans, peuvent être vendus au gré du maître et dispersés aux quatre vents cardinaux sur diverses plantations. De même que l’intelligence, le courage et la fidélité du nègre ne représentent pour le maître qu’une valeur pécuniaire, de même aussi la tendresse du noir pour ses enfans ou de la négresse pour son époux n’a d’importance aux yeux du planteur que s’il y voit une occasion d’en tirer un bénéfice quelconque. Souvent nègres et négresses sont accouplés par le propriétaire lui-même, et, de peur du fouet, accèdent à l’union qui leur est commandée. Quand le jeune esclave est libre de prendre une femme selon ses goûts, il va presque invariablement, par un vague désir de changement et de liberté, la choisir dans une plantation voisine. Il ne peut la voir que les jours de fête, ou bien pendant les rares momens de répit que lui offre son travail journalier ; encore faut-il qu’il soit muni de l’inévitable passe-port, car, sans cette feuille de papier, tout amour lui est interdit au-delà des bornes de la plantation. Si l’un des deux propriétaires voisins vient à changer de résidence, à vendre une partie de ses nègres pour payer ses dettes, ou bien à léguer par testament sa fortune à un parent éloigné, le mariage furtif conclu sur la borne des deux propriétés est tout à fait rompu, l’amant est vendu à un marchand d’esclaves, ou, s’il reste, il a la douleur de voir sa femme et ses enfans monter dans la charrette fatale qui les emporte vers un marché lointain. Le sort des familles abritées sous un même toit dans chaque plantation n’est pas toujours plus heureux. Le propriétaire peut distribuer les femmes et les maris à sa guise ; il peut vendre la négresse stérile ou hors d’âge, se défaire des négrillons qui lui sont à charge, des vieillards que la force abandonne. Aucune loi n’empêche le maître de briser ainsi les familles et d’en distribuer les membres au hasard ; il est vrai qu’une ancienne loi lui interdit de séparer un enfant de sa mère avant l’âge de dix ans, sous peine de six mois à un an de prison et de 1,000 à 2,000 dollars d’amende ; mais cette loi est constamment éludée, et j’ai vu frapper un enfant de sept ans qui se lamentait de ne plus voir sa mère. Le planteur règle même comme il l’entend les relations de l’époux et de l’épouse. Il en est parmi eux qui, pour mettre un terme aux déportemens des négresses de leur camp, ont pris l’habitude de les mettre aux ceps pendant toute la durée de la nuit. Devenues plus sages par l’impossibilité de marcher, elles donnent au maître un plus grand nombre de négrillons. C’est là une des pratiques légitimes de l’esclavage, cette institution qui, si nous en croyons les orateurs esclavagistes, « moralise le nègre, et l’élève dans l’échelle des êtres ! » Aussi les parens nègres qui sont restés bons malgré l’influence délétère
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