Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/889

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fanatisme, et l’esclave donne sans arrière-pensée son âme et son corps.

C’est parmi les femmes attachées particulièrement au service de la maison qu’on rencontre le plus d’esclaves absolument dévouées à la personne du maître et aux membres de sa famille. On sait que pendant l’insurrection de Saint-Domingue presque tous les créoles qui purent échapper au massacre durent leur salut à l’affection de quelque vieille négresse. Il en serait de même dans les États-Unis du sud, si jamais une guerre servile devait y éclater. Alors les belles créoles et les superbes planteurs, menacés par le fer et le feu, auraient recours à leurs anciennes esclaves, et celles-ci risqueraient cent fois leur vie pour sauver celles de leurs maîtres. Elevées dans la maison avec les jeunes demoiselles et les jeunes garçons, elles ont grandi en même temps qu’eux, elles ont assisté à leur mariage, elles ont pris une part subordonnée à toutes les joies et à toutes les tristesses domestiques, elles sont devenues comme une partie de la famille, dont elles prennent le nom. Ne fût-ce que par vanité, — cette passion si puissante sur les nègres, — elles seraient heureuses de leur esclavage ; mais ces pauvres femmes obéissent aussi à de plus nobles mobiles ; gardant au fond du cœur, malgré leur servitude, toutes les vertus féminines de tendresse et de bonté, elles se dévouent sans arrière-pensée. Elles reportent leurs sentimens d’amour filial sur ces maîtres qui les ont nourris, leurs instincts d’amour maternel sur les enfans qu’elles ont allaités ou soignés dans leur bas âge. Même quand elles ont des enfans de leurs maris esclaves, il est rare qu’elles n’aient pas un amour plus impérieux pour les enfans blancs de la famille du planteur que pour leur noire progéniture. Dans les momens de danger, leur plus grande sollicitude est toujours excitée en faveur de leur petit maître. Le dévouement de ces négresses est souvent reconnu ; par la force même des choses, elles deviennent graduellement indispensables à la famille ; parfois elles sont même considérées comme des amies, et dans le cercle intime peuvent s’asseoir à la table de leurs maîtresses. Mais aussi quel large mépris ces Africaines montées en grade déversent-elles sur la race maudite condamnée à l’esclavage ! Les nègres de champ ou travailleurs leur font lever le cœur de dégoût, et bien qu’elles soient noires elles-mêmes, elles se consolent en pensant qu’au fond leur âme est blanche. Les abolitionistes, dont on leur a raconté des histoires terribles, les effraient autant que les loups-garous effrayaient nos trisaïeules, et l’on en cite plusieurs qui, voyageant avec leurs maîtresses dans les états du nord, n’osaient faire un pas hors de leur chambre d’hôtel de peur d’être enlevées par ces brigands farouches qui veulent absolument imposer la liberté