toute couleur et de toute origine. Lorsqu’une écluse est rompue, l’eau se précipite furieuse, emportant les pierres, les langues de sable, les îles déposées dans le courant ; de même la haine et la rage des planteurs débordent maintenant comme une cataracte, entraînant tout dans l’immense débâcle, les droits, les devoirs, la moralité, la pudeur ; des lois impitoyables sont adoptées sans débat, l’exil ou la mort sont votés sans délai ; par mesure de salut public, la justice et le bon sens sont mis à l’écart. C’est l’esprit de vertige qui domine aujourd’hui, poussant ceux qu’il veut perdre sur la pente des abîmes.
Les lois sont en réalité une lettre morte ; le maître ne rend compte à personne de ce qu’il fait, il est dans sa plantation comme un capitaine à bord de son navire, et il fait à sa guise le trafic de ses travailleurs mâles et femelles. Qui viendra l’accuser, lorsqu’en violation flagrante de la loi, il aura séparé de sa mère un enfant de sept ans ou refusé au père infirme le droit de choisir l’enfant qui doit l’accompagner sur une plantation éloignée ? Aucun de ses confrères n’oserait élever la voix contre lui, car ils sont tous ses complices, et d’ailleurs l’accusé peut à son aise se disculper en niant le délit par serment. Quant aux nègres, ils ne sauraient se plaindre, puisqu’ils n’ont pas d’âme, puisque leurs plaintes et leurs murmures sont emportés par le vent qui passe. Dans les états du nord, où la loi n’est pas représentée comme en Europe par des légions de magistrats, de gendarmes, d’officiers de police, d’innombrables employés, et au besoin par des milliers de soldats, artilleurs, cavaliers et fantassins, elle n’a pour se défense que sa propre majesté et le respect des citoyens. Là tout homme est magistrat, et pour empêcher la société de s’écrouler par son propre poids, il doit prêter main-forte à l’exécution des décrets rendus au nom du peuple souverain. Tous sont également dominés par cette volonté suprême avec laquelle se confondent les idées même de patrie et de liberté ; mais dans les états à esclaves les planteurs sont placés au-dessus de la loi, qui n’a été faite que pour eux et par eux ; chacun la modifie au gré de sa passion ou de son intérêt. Souvent, par avarice, le propriétaire viole en faveur de son nègre la loi qui condamne celui-ci à mort ; mais dans un moment de colère il viole également la loi morale, bien autrement impérieuse, qui lui recommande envers son esclave la douceur et l’équité. Il n’est pas de garanties pour les nègres, livrés pieds et poings liés à leurs maîtres : que ceux-ci observent la loi ou bien qu’ils la négligent, ils agissent toujours de leur plein gré, ils n’en sont pas moins des souverains absolus. Aussi le texte même du code n’a-t-il guère qu’une signification relative en montrant combien peu la morale publique concède au nègre les