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par raison d’état religieuse et européenne? C’est justement la situation que Machiavel peignait de son temps avec ironie quand il disait : « Les principats ecclésiastiques sont les plus sûrs et les plus heureux; ceux-ci ont des états et ne les défendent pas, ils ont des sujets et ne les gouvernent pas, et les états, pour n’être pas défendus, ne leur sont pas enlevés, et les sujets, pour n’être pas gouvernés, ne s’en soucient et n’y pensent et ne peuvent être aliénés... » Qu’on me permette de le dire, ce n’est point ici une question religieuse. Dans l’ordre des croyances catholiques, Dieu a fait la puissance religieuse du souverain pontife, la politique a fait le pouvoir temporel des papes; mais ni la religion, régulatrice des âmes et des croyances, ni la politique, régulatrice des destinées humaines, n’ont assuré un privilège d’inviolabilité et d’immutabilité à une forme de gouvernement, à un système. Et là est cependant la question : elle est dans cette confusion d’idées sur laquelle repose depuis si longtemps l’existence des États-Romains, et qui a mis en péril l’indépendance temporelle du saint-siège pour faire vivre une politique.

La vérité est que la cour de Rome s’est trompée et a peut-être été trompée sur le temps où elle vivait, sur les conditions mêmes dans lesquelles elle peut gouverner les âmes, sur le degré d’appui qu’elle pouvait rencontrer. Elle a cru trop aisément qu’elle pouvait opposer à tout cette politique de patience, d’immobilité et d’évasion par laquelle d’autres fois elle a triomphé de tant d’obstacles et survécu à tant d’épreuves. Elle aurait eu raison d’une violence d’ambition, d’une irruption révolutionnaire qui l’eût un moment submergée : elle n’a pas vu qu’il y avait un bien autre danger à opposer sans cesse l’invariable impassibilité du non possumus à des désirs d’émancipation civile et nationale qui, eux aussi, étaient légitimes après tout. Lorsque le pape Pie VII était brusquement assailli à Rome, enlevé, emprisonné, traîné de Savone à Fontainebleau, il n’était pas seulement le pape violenté : il était dans ses humiliations comme l’image visible et touchante de beaucoup d’autres droits qui souffraient en Europe, et cette épreuve fortifiait la papauté même plus qu’elle ne l’affaiblissait. Il n’en est plus ainsi lors- que, devant le pontife et autour de lui, c’est une nationalité qui se relève, qui cherche à s’organiser. Alors le droit historique, traditionnel, régulier du prince des États-Romains est balancé par cet autre droit vivant et tout-puissant de l’Italie. La cour de Rome ne s’est pas moins trompée sur la nature de l’appui qu’elle. devait trouver en France. L’émotion, la sympathie, l’intérêt ardent et profond sont pour le chef de la religion, pour la situation douloureuse de Pie IX, non pour la politique romaine. La raison en est bien simple, c’est que ce qui se passe à Rome n’est que le dernier mot d’un